À la sortie de la station prémétro Horta, un lieu d’expression artistique m’interroge. Les œuvres disposées dans le paysage urbain ne sont pas signées mais plusieurs indices demeurent. Après quelques recherches, ceux-ci m’ont menée à Karin Vyncke et Yoris Van den Houte, les deux artistes bruxellois à l’origine du projet. Depuis près de trois mois, ce couple très créatif a redonné vie à un pavillon abandonné. Leur objectif : questionner les passants sur le destin de ce lieu délaissé, comme tant d’autres à Bruxelles. Pour ce faire, le duo a proposé trois installations : les « KIOSK EXPOS ». Si ces expositions en plein air ont attiré l’attention sur le devenir d’un lieu à l’abandon, elles ont aussi bouleversé les codes en évoquant nos drames quotidiens.
Un bâtiment en demande d’attention
Pour Karin et Yoris, tout part d’un lieu qui s’impose à eux. Ici, le pavillon vitré de la station Horta, ou plutôt l’imposante sortie d’un parking privé. Les créateurs trouvaient invraisemblable que cette sortie de garage mégalomane prive les passants de la vue du parc avoisinant. « Si ce bâtiment ne servait à rien, pourquoi ne pas lui donner une fonction artistique ? », s’interroge Karin. Le couple demande alors à la régie foncière l’autorisation pour s’en occuper.
Au début, ils n’ont pas d’idée précise en tête. Ils réalisent quelques essais durant l’été, en s’abstenant de prévenir le public. Avant le lancement du projet, les deux artistes doivent d’abord appréhender les lieux et cibler les possibilités artistiques qui s’offrent à eux. Les grandes vitres parsemées de graffitis à l’acide ne facilitent pas la tâche en termes de surface d’exposition. Ils les recouvrent donc de chaux. « Tout de suite, les gens ont cru à l’ouverture de quelque chose et nous demandaient quel était cet endroit et ce qu’il allait devenir ? » confie Karin. L’avenir du bâtiment posait déjà question, jusqu’à ce que l’inscription « coming soong » augmente le mystère. « On voulait les mettre sur un mauvais pied en faisant croire à quelque chose de commercial. Si on avait écrit “grand projet artistique”, il n’y aurait pas eu le même intérêt. Les gens qui passent, il faut savoir les saisir et les emmener quelque part. Mettre les gens sur un mauvais pied est aussi une forme d’interventionnisme », précise Yoris.
Un kiosque féministe
Les jours défilent et les passants s’interrogent. Lorsque le bâtiment s’anime, ces derniers croient à l’ouverture prochaine d’un kiosque à journaux. Karin et Yoris partent de ces impressions pour lancer leur première intervention urbaine : le “KIOSK EXPO #1″. Par un heureux hasard, le couple collectionne déjà les couvertures du magazine féminin « Bonne Soirée », datant des années 60. Ils les agrandissent pour recouvrir les vitres du pavillon. Pour que les passants s’attardent sur ces clichés de “femmes parfaites”, les créateurs bruxellois proposent une double lecture en changeant les titres initiaux par des citations de films ou de philosophes. Ils ajoutent alors la touche finale : des moustaches. « Au départ, tu vois des publicités rétros des années 60, ensuite les femmes moustachues et là, tu regardes le texte », explique Yoris.
Bienvenue à la “National Gallery”
Pour alimenter la curiosité du public, les faiseurs de mystère inscrivent « National Gallery » au dessus de leurs œuvres. C’est le début du “KIOSK EXPO #2″ à travers lequel le duo souhaite lancer un message fort. « Mais qu’est-ce qu’on montre dans la rue sans être moraliste ? », se demande Karin. Ils laissent d’abord quelques phrases humoristiques du premier projet, pour aborder ensuite, en contraste, un thème plus grave : l’abandon.
Ce nouveau thème a émergé suite à une série de photos de matelas abandonnés que le couple photographiait depuis plusieurs années. « Un jour, on a vu un matelas juste bien placé sous un réverbère. C’était d’une tristesse absolue. Ce n’est pas juste un matelas abandonné, ça représentait aussi une personne délaissée dans la rue. C’est pourquoi on a commencé à photographier les matelas », se rappelle Yoris. En écho à l’actualité, cette installation fait référence à la problématique des réfugiés qui doivent laisser un matelas, une vie derrière eux.
Un lieu d’affichage pour se retrouver
Fraîchement installé, le “KIOSK EXPO #3” est un clin d’œil à un message affiché sur le pavillon d’Horta. Au début de l’aventure artistique, le couple a trouvé et gardé l’annonce d’une personne qui avait perdu son téléphone. D’après Yoris, ces petites annonces anonymes placardées seraient finalement proches de leur démarche artistique. Cette source d’inspiration a conduit les artistes à prolonger l’exploitation du thème de l’abandon. Cette fois-ci, ils ont choisi de proposer une exposition différente qui ne mêlera que mots, couleurs et formes géométriques. Ainsi, ces mots questionneront ce que l’humain peut perdre, en référence aux annonces d’objets perdus. « On est parti du fait qu’on avait aussi perdu quelque chose, mais quoi ? Une petite culotte, un téléphone, un chat ? On peut même perdre son âme. On peut être totalement perdu », rapporte Yoris.
Les artistes de l’ombre s’interrogent désormais sur l’après-“KIOSK EXPO”. Dans l’absolu, Karin et Yoris voudraient qu’une solution concrète émerge pour la gestion du pavillon d’Horta. En attendant, ils espèrent y poursuivre leur projet consacré aux endroits abandonnés en fonction des autorisations qui leur seront fournies et restent à l’affût d’autres bâtiments.
Marine Creer