Après plusieurs échanges de SMS avec un membre du collectif PiratonsBxl, un rendez-vous est pris. Il est fixé à Ixelles, dans un squat expulsé le lendemain. A 17h, dans le froid et le noir automnal, l’attente commence. Qui nous ouvrira la porte ? Après 15 minutes d’attente, notre interlocuteur arrive. Juste un pseudo en guise de présentation. Pantalon de travail, bottines et grosse veste sont de rigueur. Il n’avait plus de batterie sur son GSM… Un des aléas de la vie au jour le jour.
“Notre expérience nous prouve qu’il est plus efficace de négocier avec les propriétaires une fois à l’intérieur du bâtiment.” Membre du groupe Piratons Bxl
A l’intérieur de la maison, il n’y a plus rien. Les occupants se sont attelés à vider les lieux en vue de l’expulsion du lendemain. Les pièces aux hauts plafonds sont plongées dans le noir, seules quelques ampoules fonctionnent. Les lampes de poche des téléphones portables sont très utiles dans cette situation. Quelques affaires personnelles sont éparpillées à terre, des canettes de bière traînent par-ci, par-là. “D’habitude c’est propre, mais, avec l’expulsion imminente, il y a eu du laisser aller”. Hier, une dernière fête a été organisée. Au “Sauna”, il ne reste plus que deux-trois personnes, ils prennent les dernières affaires qui leur restent ou se préparent à un dernier sauna. Selon un des squatteurs, la maison appartient à une très riche multi-propriétaire, possédant plusieurs bâtiments vides et spéculant sur l’immobilier. Celle-ci est “anti-squat à fond. Son but est d’expulser les gens le plus vite possible.”
Squatter : ça s’organise
Au “Sauna” comme dans presque tous les squats, les anarchistes essaient toujours de contacter les propriétaires. Souvent, bien que la méthode soit propre à chaque squatteur, ils le font après être rentrés dans la maison. Pourquoi ? Question de stratégie. Peu de propriétaires sont disposés à mettre leur logement à disposition avant qu’il ne soit occupé. Il est plus facile de négocier une fois dans le bâtiment. A l’issue des négociations, les occupants ont parfois une bonne surprise : contrat d’occupation précaire, arrangements à l’amiable… Ensuite, ils s’occupent de remettre l’électricité, le chauffage et l’eau. Certains ont des connaissances en plomberie, électricité, etc. C’est très important de vivre dans un environnement où ils se sentent “comme chez eux”. Mais, ici, la propriétaire a été intransigeante et n’a rien voulu entendre.
“ C’est difficile d’avoir des projets quand on change de lieu d’habitation tous les trois mois”. Membre du groupe PiratonsBxl
“Normalement, dans ce cas, la propriétaire est légalement tenue de passer par un juge de paix pour nous expulser. Celui-ci enclenche alors une procédure bilatérale pour trouver un accord entre les deux parties. Cependant, elle a privilégié la mesure unilatérale. Cette mesure n’est légalement possible que si elle ne connaît pas l’identité des occupants, qu’il y a un danger pour la sécurité des habitants, comme par exemple dans le cas d’un immeuble insalubre, ou encore si les habitants sont considérés comme dangereux. Nous lui avons directement communiqué nos identités, mais elle a décidé de les ignorer pour justifier cette procédure… La police débarque donc, demain matin, pour nous déloger.”
La vie en squat
Mis à part les risques d’expulsion, la vie en squat ressemble à la vie en colocation. Chacun a sa chambre, “elles étaient bien grandes ici au Sauna”. Les habitants partagent des repas, profitent du jardin, font de la récupération ensemble, se réunissent pour organiser la vie en commun. Parfois, les squats deviennent des lieux de rencontre où se tiennent diverses activités (entraînements de boxe, cercles de lecture, tables de discussions, ateliers coutures…) Il y a aussi de petites fêtes, comme celle qui s’est déroulée la veille.
Comme son nom l’indique, ce squat possède un sauna, et les habitants en profitent. Cependant, il ne faut pas généraliser. Ce n’est pas dans tous les squats que vous trouverez ces facilités. « C’est une vie très compliquée mentalement. Il est très difficile de se projeter dans l’avenir. On est rapidement expulsés des bâtiments qui, pourtant, restent souvent inoccupés après notre départ. C’est éprouvant de devoir, tous les deux-trois mois redémarrer à 0 ».
Dans ce squat, comme dans beaucoup d’autres, le panel de personnalités est très large. Certains sont au CPAS, n’ont pas assez d’argent pour se payer un loyer. D’autres suivent des formations non-rémunérées. Il y a aussi des étudiants et des sans-papiers. Sans oublier les bourgeois qui squattent, parce que c’est “cool”, les artistes qui veulent développer des projets. Pas de personnes qui passent la journée dans un état second donc, image souvent associée aux squatteurs. “Ces gens existent, ils sont minoritaires. Je ne veux pas leur jeter la pierre”, défend le militant anarchiste. “Ils n’ont pas les moyens de s’offrir une autre vie et essayent d’échapper à leur condition avec la drogue. Ces squats-là sont vraiment sales. Nous déménageons d’ailleurs dans un squat récemment occupé par des toxicomanes et il faut tout nettoyer.”
En tout cas, la loi ne va rien changer pour le collectif. “Ca fait longtemps qu’on ne prend plus en compte une loi qui est contre nous.”
Le 123, un squat rare et fragile
Au 123 Rue Royale, les habitants ont gagné, eux, le temps de faire des projets. Cela fait près de 10 ans qu’ils occupent le bâtiment. Une décennie de répit pour les 60 personnes qui vivent dans cet immeuble de sept étages. Le répit ne durera cependant plus que quelques mois. Le bâtiment est vendu, le bail interrompu.
Il y a dix ans, Adrien était là pour ouvrir le squat. Il avait alors 22 ans. Tout a commencé comme pour tant d’autres occupations. Plusieurs personnes étaient là pour prendre possession du bâtiment. Elles sont passées par la porte de garage donnant sur la rue de l’Association. Depuis lors, elles n’ont pas quitté les lieux.
Une fois en place, les squatteurs ont contacté le propriétaire du 123, la Région wallonne. Après 6 mois de négociations, un accord est trouvé. La région accorde à l’ASBL un contrat à durée indéterminée. “C’est un plan de rêve. Je ne sais pas si c’est une première à Bruxelles, si pas en Belgique, mais dans l’histoire récente des occupations, ça l’est.”
Le combat n’est toutefois pas terminé pour l’ASBL woningen123logements. Le 123 n’est pas le seul bâtiment qu’ils occupent. Pour le moment, ils se sont concentrés sur la rue du Progrès. Une rue presque exclusivement “détenue” par l’association. Il y a là plusieurs conventions en cours, majoritairement avec des propriétaires privés, permettant de loger une centaine de personnes.
Un avenir incertain pour les occupants
L’avenir des habitants du 123 est aussi envisagé. Après une récente tentative manquée Porte de Hal, Adrien relativise. Pour lui, cette tentative constitue une opportunité de prise de conscience. “Cela permet à tout le monde de comprendre que tout n’est pas acquis, que c’est un combat de tous les instants et qu’à quelques mois de l’expulsion, il temps de chercher autre chose.”
Le plus dur, pour Adrien, n’est pas de trouver un nouveau bâtiment. Cela va être de reconstruire une dynamique de groupe, de mettre en commun les projets de chacun. Y aura-t-il la même envie de construire quelque chose de commun ? Les règles vont-elles être les mêmes ? Ce qui est sûr, c’est que la durée d’occupation, ainsi que l’endroit, risquent d’être bien différents.
“La crise du logement nécessite des actions concrètes” Caroline Désir, échevine à la rénovation urbaine à Ixelles
La solution à la crise du logement ? Squatter, dit-il en riant. Puis, plus sérieusement, il évoque l’abrogation de la loi anti-squat, la nécessité de systématiser les conventions d’occupation temporaire. Il y a peu de volonté politique d’entraver ces démarches.
Une solution qui paraît évidente pour certains, mais qui déchaîne pourtant les passions et divise la population autant que les politiques. Pour Egbert Lachaert, député fédéral Open Vld et instigateur de la loi anti-squat, “squatter c’est se faire justice soi-même ! Sous prétexte que mon droit au logement n’est pas garanti, je me permets de violer le droit de propriété de quelqu’un d’autre. Dans cette logique, on devrait également tolérer le crime d’honneur dans les cas où la justice n’est pas en mesure de sanctionner ?”
Autre son de cloche du côté de Caroline Désir, échevine à la rénovation urbaine, contrats de quartier et propriétés communales à Ixelles : “En tant que pouvoir public, on se doit d’être exemplaire. La crise du logement est trop importante et nécessite des actions concrètes. Il faut actionner tous les leviers à notre disposition.”
Des solutions à découvrir dans le 3e et dernier volet de notre dossier sur la loi anti-squat.