À l’approche de Noël, des faisceaux lumineux strient le ciel de Bruxelles. On les voit de Schaerbeek, d’Anderlecht, de l’Est et de l’ouest de la capitale. Pour les habitants d’Ixelles, il n’y a plus de mystère sur leur origine. Ces rayons ne proviennent pas du parking d’une boîte de nuit en périphérie de la ville, ni d’envahisseurs fans de phares ; ils sont émis du 10e étage du n° 7 de la place Flagey, l’immeuble que le producteur et promoteur immobilier Dominique Janne a choisi comme QG.
Cinq spots recouvrent le toit de cet immeuble à la vue phénoménale. Ils bougent, chorégraphiés par cartes à puce, pour faire briller le sapin à boules à facettes qu’ils entourent, le ciel, et les autres bâtiments de la place, choisie malgré eux pour se joindre aux festivités. Dominique Janne exerce son influence sur la place et ses alentours depuis maintenant 15 ans par ses achats immobiliers, et les choix qu’il prend quant à la manière de les occuper. Certains l’accusent d’avoir gentrifié le quartier tandis que d’autres le remercient pour la portée internationale dont jouit désormais Flagey.
Ces installations lumineuses sont son cadeau de Noël aux habitants de ce quartier qu’il chérit depuis son arrivée en Belgique, depuis le Congo. “Le plus important dans la vie, c’est le plaisir et mon plus grand plaisir, c’est de voir les enfants émerveillés devant les lumières.” Les petits ne sont pas les seuls concernés par le bonheur que les faisceaux blancs peuvent procurer : “un ami banquier du quartier était en dépression et venait se “pepser” en regardant les lumières depuis les bancs en contrebas.” Son investissement émotionnel dans la vie de quartier ne s’arrête pas à Noël. Depuis le haut de la tour où siège sa société de production, il observe les passants traverser la place Flagey, cherchant sans cesse “une solution pour qu’elle soit plus agréable” car elle est encore “trop vide” et il faut que les gens “veuillent passer au milieu”.
“Il habite dans la montagne, et il adore Noël”
Les faisceaux ne sont pourtant pas une cure de luminothérapie pour tous les riverains. L’année passée, une habitante du petit Paris (Ixelles) a déposé une plainte auprès de la bourgmestre sortante, Dominique Defourny (MR). Cette citoyenne occupait les logements en vis-à-vis qui accueillent, une fois toutes les cinq minutes, les gros cylindres lumineux par les fenêtres de leurs salons.
Puisque le producteur est dans son droit (il a l’autorisation de la régie des voies aériennes, il n’y a pas de juridictions urbanistiques sur les projections “célestes”, et surtout, les faisceaux disparaissent à 23 h, NDLR), ces réclamations et l’injonction d’arrêt émise par la bourgmestre ont été étouffées par un sondage distribué à tous les habitants d’Ixelles et commandé par Dominique Janne lui-même. Résultat : 92 % avalisaient le projet, 5 % émettaient des réserves esthétiques, et les 3 % restants questionnaient ce genre de dépenses énergétiques “peu écologiques”.
Pour les habitants d’Ixelles les moins concernés, comme Martin, 25 ans, “c’est surtout marrant que quelqu’un décide de mettre autant d’argent tout seul dans des décorations de Noël. C’est un peu comme le Grinch à la fin du film, il habite dans sa montagne et il adore Noël”.
“Un conseil : redevenez des enfants émerveillés”
Si les illuminations ont été pensées pour être le moins énergivores possible, la danse des watts qui a lieu chaque soir pendant la période des fêtes renvoie une image aux antipodes des valeurs de la commune ixelloise désormais portée par les Verts de Christos Doulkeridis. Dans son nouveau costume majoral depuis le 6 décembre dernier, il n’aurait “pas eu le temps de se pencher sur la question”, selon le service d’Urbanisme et de l’Environnement de l’administration locale.
Les lumières de la ville “made in Dominique Janne” ont donc encore un avenir brillant devant elles. Pour ceux qu’elles dérangent, le producteur conseille : “achetez des masques de nuit (5 euros) ou plus simple : redevenez des enfants émerveillés”.