Méconnus du grand public, les Gnawa (ou Gnaoua) sont des membres de la communauté marocaine avant d’être un style de musique traditionnel. Depuis son arrivée en Belgique, ce genre musical a connu de vraies modifications dues à sa relocalisation.
Entre traditions et survie de la musique
Il existe très peu de travaux qui expliquent les changements que connaît le Gnawa depuis son arrivée à Bruxelles. Hélène Sechehaye, musicologue, et Stéphanie Weisser, maître de conférence en ethnologie, font partie des rares personnes à avoir écrit un article sur ce phénomène. Selon leur étude, les Gnawas de Bruxelles ne connaitraient pas de perte d’authenticité. Juste une adaptation à leur nouvel espace de résidence.
Pour Ismail Menkari, enseignant à l’Institut supérieur de l’Information et de la Communication de Rabat, « Cette musique était très spirituelle. Devenir gnawi, c’est atteindre un haut niveau de spiritualité. Pour moi, l’authenticité a disparu. L’essentiel c’est que ces chansons sont toujours là, mais elles se prêtent maintenant à des mélanges. »
Un premier facteur qui peut expliquer le caractère unique du gnawa bruxellois est le nombre important de représentants de la culture marocaine. La Belgique est le quatrième pays au monde où vivent le plus de Marocains ou personnes d’origine marocaine. Celles-ci se sont tout particulièrement installées à Bruxelles. L’arrivée du maalem, un maître de la musique gnawa, Rida Stitou à Bruxelles, marque la naissance de ce genre en Belgique. Dès son arrivée, il a rassemblé des musiciens – pas forcément issus de familles gnawa – afin de former un groupe. Deux ans plus tard, il crée également l’ASBL « Arts et folklore gnawa ». Outre les concerts, des séances d’information et des spectacles ont vu le jour pour faire connaitre ce genre musical. Le festival Gnawas “made in Brussels” est même organisé à Bruxelles du 20 au 28 mai.
Une découverte à partager
À l’origine, le gnawa est un style très codifié. Pourtant, il s’est développé d’une toute autre manière dans la capitale belge. D’après Mohamed Saïd, responsable de l’atelier Karkaba, « On se concentre sur l’apprentissage du chant et des instruments traditionnels. On est dans la représentation pure et le spectacle avant tout. C’est un gnawa modernisé où l’aspect religieux n’est plus central. » L’autre objectif du groupe Les Gnawas de Bruxelles est de réapprendre la culture marocaine à une population immigrée qui ne connait pas tout de ses racines. Des répétitions hebdomadaires visent à apprendre les danses, les instruments et le chant aux personnes désirant découvrir cette culture.
Le fait qu’il y ait peu de musiciens marocains en Belgique pousse les différentes sous-cultures à se rassembler et à élargir la pratique de la musique gnawa. Autre signe d’ouverture, l’arrivée d’Imane Guemssy, jeune casablancaise qui a rejoint le groupe des Gnawas de Bruxelles. Traditionnellement, les femmes n’ont pas le droit de participer aux lila (qui veut dire “nuit musicale”). Même si certaines d’entre elles sont acceptées au Maroc, cela reste un fait rare. Imane a l’ambition de devenir maleema et sa participation aux rituels n’a suscité aucune réaction particulière.
L’ouverture aux autres est donc une condition primordiale pour que la culture gnawa puisse survivre dans la capitale. « Dès qu’il y a un événement à Bruxelles, on n’hésite pas à sortir et jouer pour que les gens découvrent notre art » explique Mohamed Saïd. Ce genre musical accorde beaucoup d’importance à la mise en scène (costumes aux couleurs vives, parfums, danses). Indépendamment de la promotion de cette culture musicale, les Gnawas de Bruxelles ont aussi la volonté de faire vivre leur art tout en respectant les traditions.
Les Gnawas se revendiquent comme étant des descendants des esclaves de l’Afrique de l’Ouest. Ils auraient développé une pratique culturelle spécifique vers la fin du XIXe au Maroc selon le journal marocain Telquel. Ces cérémonies avaient pour but d’épurer la communauté, comme une thérapie de groupe pour libérer leur détresse et leur peur du lendemain. Ces “esclaves” ont développé tout un art qu’ils pratiquaient avec des instruments faits mains. Même s’ils se sont imprégnés de la culture musulmane leurs pratiques rituelles, qui mêlent animisme et adoration des saints, ne correspondent pas aux valeurs défendues par l’orthodoxie islamique.
Regards croisés sur les identités belges et marocaines