« L’exil est une espèce de longue insomnie. » Momo ne connaît pas cette citation de Victor Hugo. Pourtant, elle exprime parfaitement le ressenti de ce jeune Anderlechtois de 23 ans. Cette insomnie qui, de la petite délinquance à la prison, le suit et s’amplifie. Il nous raconte cet exil social, dans son appartement et lors d’une balade en voiture.
Une pupille noire entourée de blanc. Les yeux en amande. Le visage résolu mais marqué. Momo me fixe. Au centre de la pièce de son appartement, chacun est assis dans un canapé, face à face. La seule frontière entre nous est cette table un peu crasseuse, avec des bouts de clopes cassées et ses paquets de feuilles vides. Il engage la conversation. Nous commentons l’actualité, nous évoquons le passé.
A l’école primaire, Momo était un de ces gamins anderlechtois de l’école communale Les Peupliers. Momo était un enfant comme tous les autres. Il profitait de la grande cour de récréation pour jouer au foot, sans se poser de question. Sans s’imaginer qu’à 16 ans, expulsé de chez lui, il devrait se débrouiller dans la rue. Sans s’imaginer qu’il rencontrerait beaucoup de personnes, beaucoup de galères aussi.
Comme un aimant
Momo doit vivre sans pouvoir rentrer chez lui. Il squatte chez des amis, des autres membres de la famille ou chez des gens rencontrés sur des bancs. Ces bancs, anodins, que l’on trouve dans les parcs. Les parents s’y assoient pour regarder jouer leurs enfants. Les plus vieux s’y installent le temps d’une pause au milieu de leurs balades. D’autres, ceux qui ne sont plus perçus comme “élèves” dans leur école, y restent toute la journée, lentement déviés de leur scolarité.
Sans que Momo n’entende la sonnette, les portes de l’ascenseur social se ferment. Il reste sur ces bancs qui agissent vite, comme des aimants. Il parle, il refait le monde, il vend de la drogue, il y passe sa jeunesse et monte les échelles. Finalement, un jour, il se réveille en sursaut, trop tôt le matin, même pour les gens bien.
Un beau matin
Momo a un regard philosophique sur ce matin-là. Ce réveil brutal, il savait que ce serait le premier d’une longue série. Mais il distingue ce sursaut provoqué par les policiers venus chez lui pour l’arrêter, du sursaut qu’il a ressenti intérieurement. Ce haut-le-coeur qu’il ressent à chaque instant où le poids de ses actes le rattrape. Celui qui le pousse un peu plus dans cette marge de la société qui ne cesse de s’élargir.
Maintenant, nous regardons chacun devant nous. A travers une vitre sale, le panneau qui nous indique la sortie de Bruxelles. Notre voiture zigzague dans le trafic. Un peu vite, on se dirige dans un quartier à la frontière flamande.
Tristesse, insulte, chant, rire… Dans notre bulle de fer, l’instant vécu est indépendant du temps extérieur. Nous nous mettons alors à parler sans frein, sans penser entièrement. Les langues se délient. Momo se confie.
“La prison, ce n’est pas sain”
Malgré son petit trafic, Momo est tombé pour une bagarre avec un employé de la STIB. Filmé, recherché, passant à la télé. Il rigole. Quelqu’un l’a balancé. Sans rancune envers cette personne, il n’a même pas voulu apprendre son identité par peur d’être déçu, une fois de plus.
Momo reprend. La gorge noué, il raconte : “La prison, ce n’est pas sain. On pète les plombs.” Bloqué derrière les barreaux, il regrette. Responsable de ses actes, Momo ne se sent pourtant pas à sa place. Il a toujours été plus intelligent que ça. Comme de nombreux autres nouveaux venus dans l’environnement carcéral, il se considère “à part”, différent de ces pensionnaires exilés depuis très longtemps, parfois irrécupérables.
Réinsertion délicate
Il réfléchit. Il prend du recul. La prison, il n’en veut plus. Les conséquences, il n’en peut plus. Après cette case barricadée, c’est dur de trouver du travail. Ce gaillard ambitionne simplement de jardiner. Mais ces lettres répétitives de réponses négatives, simple refus pour les ressources humaines, sont des véritables coups expiatoires. Il doit alors travailler au noir et se débrouiller avec les quelques occasions temporaires de travail qui se présentent.
Dans ces conditions, cela devient très difficile d’espérer quoi que ce soit, de pouvoir construire quelque chose. Les contraintes extérieures se multiplient, amplifiant sa frustration. Cette frustration qui lui revient en pleine face à chaque sursaut, à chaque fois qu’il se déconnecte de l’instant présent. Ce moment où lui viennent des sueurs froides, où il a envie de tout lâcher, de crier. Ce lent exil social, il n’en peut plus.
Portrait réalisé par Alexandre Vanderhaegen