En Belgique, le marché de la viande représente 6 milliards d’euros de chiffres d’affaires sur les 52 611 milliards brassés par l’industrie alimentaire. Chaque année, les Belges ingurgitent moins de viande : entre 2005 et 2016, la consommation nationale est passée de 65,88 kg à 51,05 kg par habitant et par an, selon une étude de la Direction Générale statistique du SPF Économie. Ces quantités restent toutefois deux fois plus élevées que celles recommandées par le Conseil supérieur de la santé. La tendance à la baisse est notamment attribuée au succès de nouveaux régimes alimentaires excluant la viande comme le végétarisme ou le véganisme. Tandis que l’un se limite à supprimer la viande et le poisson, l’autre rejette tous les produits issus de l’exploitation animale, des œufs au lait, en passant par les produits non alimentaires (cosmétiques, vêtement, chaussures…).
Directement confrontée à cette réalité, la boucherie Van Engelandt se veut toutefois rassurante. À deux pas de l’agitation des abattoirs d’Anderlecht, ce grossiste contraste par son calme. Les rayons réfrigérés de l’espace de vente côtoient les bureaux et entrepôts où s’activent les employés. Ici, on s’y connait en viande : Jonathan Allard a occupé tous les postes au cours des quinze dernières années, de boucher à commercial aujourd’hui. Sa vision de l’alimentation est claire : « pour un bon équilibre, une assiette se compose de viande, de féculents et de légumes. On a autant besoin des trois », nous explique-t-il. Ce grand mangeur de viande nuance toutefois ses propos : « il ne faut pas en manger tous les jours mais au minimum trois à quatre fois par semaine en variant de sorte. Manger de la viande, c’est dans toutes les cultures. Je ne m’imagine pas élever mon enfant sans viande ! On en mangeait il y a 2000 ans et l’on en mangera encore dans 2000 ans ! » Il s’indigne de l’extrémisme que présentent parfois le véganisme ou le végétarisme. « Je trouve que l’on exagère énormément et que l’on doit laisser le choix à chacun de manger ce qu’il veut ».
Contrarié par la mauvaise image de la profession que renvoient certains médias, il dénonce également le manque de connaissances du grand public sur la chaîne de production : « les gens ne savent pas d’où viennent les bêtes, comment elles sont élevées, ni ce qui se passe à l’abattage. De nombreux postes restent à pourvoir dans le secteur, ce qui est bien dommage. Boucher c’est un beau métier, très dur, mais formidable ». Pas de sentiment de culpabilité, la maltraitance animale ne concerne pas son entreprise : « nous nous assurons que toutes les bêtes soient bien traitées. C’est un gage de qualité. On va voir les élevages sur place, on visite tout de A à Z. Et les contrôles de l’AFSCA sont permanents ». De fait, l’entreprise privilégie la qualité aux bas prix. Les produits d’un certain standing sont autant destinés à des restaurateurs -certains étoilés- qu’à des hypermarchés et des clients lambda.
“Quel prix les animaux doivent-ils payer pour me fournir ces produits ?”
L’élevage intensif soulève aussi de nombreuses questions éthiques, notamment en ce qui concerne la maltraitance animale. Un argument, et pas des moindres, pour modérer sa consommation de viande. Les organisations non gouvernementales internationales sont nombreuses à dénoncer les conditions de vie des animaux d’élevage (espace trop restreint, mauvaise hygiène…) et celles de leur abattage. Mettre en lumière cette réalité, c’est l’objectif de l’asbl belge Végétik. Son fondateur, Fabrice Derzelle, explique que les végétariens ou véganes arrêtent de consommer les produits issus des animaux ou de leur exploitation le plus souvent pour le bien-être animal. « Quel prix les animaux doivent-ils payer pour me fournir ces produits ? C’est la question que je me pose. Consommer ces produits pourrait être envisageable à condition de laisser vivre dignement les bêtes. Sauf que la réalité est différente : les poules en cages, c’est peut-être les animaux qui souffrent le plus. Cinq dans un petit mètre carré, elles deviennent folles ! »
C’est surtout la question de l’environnement qui a été déterminante pour Fabrice Derzelle. Il dénonce l’élevage intensif qui stérilise l’environnement : « promenez-vous près d’un espace agricole industriel et vous ne verrez plus d’insectes, vous ne verrez plus d’oiseaux. » En effet, la production de viande, en particulier industrielle, pollue énormément. Le Groupement d’Experts Intergouvernemental sur l’Évolution du Climat (GIEC) ainsi que l’Organisation des Nations Unies pour l’Alimentation et l’Agriculture (FAO) pointent la responsabilité de l’élevage intensif dans les émissions de gaz à effet de serre. L’agriculture serait responsable de 10 % de ces émissions en Belgique selon le rapport 2016 de la Cellule interrégionale pour l’Environnement.
Les inquiétudes du militant concernent aussi la santé publique. Notre alimentation comprend trop de produits animaux, riches en graisses saturées qui obstruent le système circulatoire et provoquent de nombreuses maladies : « Il y a une crise sanitaire gigantesque et je trouve scandaleux qu’on continue de subventionner les élevages et qu’on continue à faire de la publicité pour qu’on consomme de la viande alors que toute la population belge est déjà en surconsommation ». De fait, malgré les apports nutritionnels de la viande en protéines et vitamines B12, la surconsommation de viande rouge en particulier pose problème. Le Centre Internationale de Recherche sur le Cancer a établi la relation entre la consommation importante de viande rouge et les risques accrus de décès par diverses maladies (cardiaque, diabète, cancer).
Le flexitarisme : un bon compromis ?
Entre ces deux extrêmes, le flexitarisme s’impose comme une solution intermédiaire. C’est sur ce créneau que se sont lancés Michel Cervello, un ancien ingénieur commercial de 36 ans, et son bras droit, le chef Nicolas en ouvrant le restaurant Le Flexitarien dans le quartier européen de Bruxelles.
Le concept repose sur une cuisine consciente qui vise à réduire la part de protéines animales dans l’assiette. Michel Cervello, qui se définit comme un « gourmand gourmet », est très sensible aux problématiques de l’alimentation. « Je considère que devenir végane est le plus beau geste qu’on puisse faire pour la nature. C’est comme couper l’eau du robinet en se savonnant ou prendre des douches plus courtes. » L’élevage intensif se révèle très gourmand en céréales et en eau: 13 500 litres d’eau sont en effet nécessaires pour produire 1 Kg de boeuf. Il grignote également 70 % de la surface agricole mondiale, selon la FAO.
Le patron du restaurant définit le flexitarisme comme un « état transitoire, une première étape pour diminuer sa consommation de viande, qu’il considère du véganisme modéré». « Je crois qu’à terme, on sera tous véganes, et ce, à l’échelle planétaire », nous indique-t-il. La démarche s’inscrit dans une recherche plus globale d’un mode de consommation éthique : « Un flexitarien consomme encore de la viande ou du poisson, pourvu que ce soit fait en petites quantités et de manière responsable ». Le restaurant ne cache pas son engagement : « on essaye de faire passer un petit message. On veut montrer aux gens que c’est possible d’avoir des repas sympas, avec plein de textures, de saveurs et de couleurs, sans forcément avoir une pièce de viande ou de poisson ». Ici, on pallie les carences liées à la suppression de viande en multipliant les sources de protéines végétales telles que les légumineuses.
Omnivore, végane, flexitarien, chacun choisit un régime alimentaire en accord avec ses croyances. Cependant, aura-t-on encore le choix de manger de la viande indéfiniment? Rien n’est moins sûr à l’heure où les projections démographiques estiment à 9 milliards le nombre d’humains à nourrir d’ici 2050.