Chaque rentrée académique voit naître les craintes des bien-pensants quant aux baptêmes étudiants. On peut lire tout et n’importe quoi sur les exactions, les dangers ou les dérives d’une jeunesse dorée et alcoolisée. Le mélange détonnant entre initiation, jeunesse, mystère et irrévérence a tout pour entretenir les idées arrêtées. Dans la carte blanche de la semaine, Dimitri Mainil, président de baptême du cercle de Philosophie et Lettres en 2014 à l’ULB, nous livre la sienne.
Pourquoi les jeunes qui rentrent dans le supérieur cherchent-ils à se faire baptiser ? Tout simplement pour s’intégrer et s’amuser. Est-ce obligatoire et nécessaire d’avoir du plaisir entouré de personnes sympathiques venues des quatre coins du pays ? Non, mais tout est une question de désir et de liberté. Du coup, que l’on demande en permanence aux baptisés de justifier un tel choix et d’expliquer la nécessité de la bleusaille est assez symptomatique. Aujourd’hui, tout ce qui est entrepris par la jeunesse doit être rentable et conventionnel. C’est peut-être de là, d’ailleurs, que vient la saveur de la bleusaille : se détacher, pendant une période éphémère, d’une logique du “tout à la consommation”, pour vivre quelque chose d’humain et d’extrêmement puissant. Une expérience que la société aseptisée ne permet de ressentir nulle part ailleurs.
Un rite de passage
D’après moi, le baptême n’est pas à considérer comme quelque chose de désuet puisqu’il représente à la fois un rite de passage de l’adolescence à l’âge adulte et l’arrivée dans un nouvel univers. Donc, tant qu’il y aura de jeunes gens prêts à devenir des adultes dans l’enseignement supérieur, le baptême aura du sens. Ce besoin de passer par des étapes de notre vie, et de les marquer, existe depuis toujours et dans toutes les sociétés. Nos pays européens se sont peut-être éloignés des rites ancestraux, mais ceux-ci subsistent et demeurent importants pour l’épanouissement de l’individu dans sa construction par rapport à l’autre.
Avant tout, le rite de passage permet l’intégration et, vu la nouvelle aventure que représente l’entrée à l’université, un peu de compagnie n’est pas à négliger. Ce qui ne veut pas dire qu’il faut être baptisé pour avoir des amis à l’université. Le baptême ne fait que provoquer les rencontres et les situations que le non-baptisé pourra faire en d’autres circonstances. Cependant, le contexte de fêtes, de valeurs partagées et de camaraderie convient à certains plus qu’à d’autres. Il suffit de considérer l’importance du bouche-à-oreille et l’afflux de nouvelles têtes bleues chaque année pour s’en convaincre.
Des discours alarmistes
De manière générale, l’obstination des médias à y voir une survivance du bizutage à l’orée du service militaire, où les excès sont légion, est navrant. C’est comme si chaque année, les journaux télévisés ne se préoccupaient que des comas éthyliques et des rixes sanglantes liés à la belle peinture folklorique d’un dragon courbant l’échine devant la population montoise. Rien que cette semaine, je citerais des titres lassants du genre « Le baptême peut briser des jeunes » dans l’Avenir et le crédit donné à l’ouvrage de Malika Borbouse « La face cachée du baptême estudiantin ». Lorsque l’auteure dénonce que « dans certains cas, ces dérapages s’assimilent […] à des comportements sadiques, comme lorsqu’on urine sur un bleu par exemple », elle entretient une paranoïa malsaine. Si personne ne peut être insensible à une telle barbarie, on peut par contre questionner la pertinence de ce genre de déclarations.
Un simple jeu de rôle
Ceci étant, si les médias utilisent souvent un cadrage négatif pour couvrir les baptêmes, les baptisés sont aussi responsables de maintenir l’humour et l’humanité comme garants du bon fonctionnement de leurs activités. L’objectif ici n’est pas de remettre en cause des témoignages personnels sur « l’horreur » que fut cette expérience pour certains. Cependant, il est primordial de rappeler le « jeu de rôle » non-obligatoire dans lequel s’inscrit le baptême. De plus, l’organisation même d’un baptême dépend de garde-fous (poils, plumes, anciens, délégués sociaux, extérieurs…) qui empêchent les exceptionnelles dérives.
A l’image de la société, le monde folklorique connaît aussi des membres plus limités que d’autres, mais mettre toute la lumière sur eux occulte le cadre légal, humain et universitaire dans lequel s’inscrit le baptême. Il n’existe donc ni loi du silence, ni méthodes moyenâgeuse, mais bien un mystère aussi dérangeant qu’indispensable qui fait du baptême une expérience hors du commun. Par contre, cela ne dispense pas le folklore de continuer d’évoluer et de se détourner de pratiques anciennes jugées dangereuses.
Du reste, contre le prêt-à-penser ambiant, Rousseau disait à juste titre que « se faire sa propre opinion, n’est déjà plus un comportement d’esclave ». L’appliquera qui voudra.
Dimitri Mainil (alias Picore)
Président de Baptême du cercle de Philosophie et Lettres 2014 (ULB)
Etudiant en sciences des religions et de la laïcité