Un sujet délicat peut parfois mener à des approximations. Voire des erreurs très gênantes. En novembre 2016, une vidéo publiée par la chaîne de télévision Vox Africa dénonce un impôt colonial payé par les 14 pays de la zone franc (anciennes colonies françaises). La vidéo, basée sur un article écrit deux ans plus tôt par Mawuna Koutonin, un journaliste togolais, fait le buzz sur Facebook. A ce jour, elle a dépassé les 1,8 millions de vues.
Avant sa mise en ligne, plusieurs médias, considérés comme conspirationnistes avaient déjà relayé le scandale. Ils reprenaient l’article tel quel. Dans un élan de panafricanisme (mouvement de solidarité entre les peuples africains) et de haine contre l’Occident, à tort ou à raison, ils ont vite tiré des conclusions.
A la suite de cet épisode, deux médias français se sont penchés sur la question et ont tenté de décoder l’article : Libération et Le Monde .
« Problème : en plus de ces (grosses) approximations, l’article, comme la vidéo, opèrent une confusion entre ce prétendu «impôt colonial» et une des règles du fonctionnement du franc CFA. » (Libération)
« Cependant, la régulation du franc CFA dans les quatorze pays africains cités – ainsi que du franc comorien dans l’archipel des Comores – occasionne bien la mise en dépôt d’une partie de leurs réserves de changes à la Banque de France. » (Le Monde)
Un peu d’histoire
Pour comprendre cette confusion autour de « l’impôt colonial », il faut remonter au franc CFA, créé en 1945. Et même avant, au milieu du XIXe siècle, à l’époque de la France et de son empire colonial. L’Hexagone commence à émettre une nouvelle monnaie : le franc colonial. Il est émis par des institutions privées appelées banques d’émissions coloniales. Elles ont pour but de financer le commerce international. Mais le système n’est pas centralisé, ce qui rend très difficile le contrôle des capitaux.
En 1945, à la fin de la guerre, la France veut garder le contrôle de ses colonies et ainsi assurer son développement économique. Soutenu par le Fond monétaire international (FMI), Charles de Gaulle signe les premiers accords de parité et le franc colonial devient le franc CFA. Même après l’indépendance des 14 pays colonisés (Cameroun, Congo, Sénégal, Togo,…), le CFA a survécu et reste la monnaie d’échange, sauf pour la Guinée-Conakry (se retire en 1960) et la Mauritanie (1973).
Elle est régie sous quatre principes : la confiance, la convertibilité (fixe entre euro-CFA), la parité et les transferts. En contrepartie, les pays doivent laisser 50% de leurs réserves de change à la Banque de France.
Les contraintes du franc CFA
- La monnaie n’est pas fabriquée en Afrique mais en France. Elle n’est pas non plus acceptée sur le sol français. Ces pays sont donc devenus « indépendants » sans être pour autant souverains de leur monnaie.
- Le droit de véto français est inscrit dans les statuts de la BEAC (Banque des États de l’Afrique centrale) et de la BCEAO (Banque Centrale des États de l’Afrique de l’Ouest). Ce sont les deux grandes instances monétaires africaines qui régissent les pays de la zone franc. Aucune décision ne peut être prise sans l’accord du gouvernement français.
- L’arrimage du franc CFA à l’euro serait selon Kako Nubukpo, économiste et ancien ministre togolais de la prospective, le plus grand désavantage. Il l’explique dans une interview donnée au journal Le Monde : « Je ne pense pas que nos pays puissent se développer en pratiquant la politique monétaire de l’Allemagne. Or, la situation est bien celle-là. Notre arrimage à l’euro nous contraint à pratiquer la politique monétaire d’un pays fort dans des économies faibles. Cela revient à taxer les exportations et à subventionner les importations. »
- La priorité est donnée à l’inflation : les politiques de la BEAC et de la BCEAO sont calquées sur la BCE. Elles veulent maintenir un taux d’inflation bas (2 à 3 %) sans créer d’emplois ou faire de réformes structurelles. Et il n’y a pas que la politique monétaire mais aussi les dévaluations liées à l’euro qui touchent le franc CFA. Lorsque la monnaie européenne perd de sa valeur, c’est toute l’économie de la zone franc qui en pâtit aussi.
Toutes ces mesures rendent très difficile l’investissement public car il n’est pas du tout adapté au contexte économique des pays. Sans investissements, la croissance d’une économie est quasiment impossible. La France n’impose pas « d’impôt colonial » aux pays africains de la zone franc qui ont tous les droits de créer leur propre zone monétaire. Mais elle les contraint à se développer par ces dernières décisions. Sa soi-disant « protection monétaire » ressemble plus à un cheval de Troie qu’à un réel accord de paix.
Kako Nubukpo, économiste et ancien ministre togolais de la prospective, ajoute que les gouvernements africains se reposent toujours sur le filet protecteur des grandes instances européennes. En 2005, les pays de la zone franc possédaient 3 600 milliards de franc CFA dormant dans les caisses du Trésor public français, environ 6 milliards d’euros. L’économiste togolais appelle ça la « servitude volontaire ». En 2012, le président de la République française, François Hollande, encourageait les gouverneurs des banques centrales à utiliser plus activement ses ressources.
Une vraie mafia
Le gouvernement français n’est pas le seul à profiter de ce système. C’est un réel réseau qui s’est tissé autour de cette monnaie. Des politiciens (autant Européens qu’africains), des chefs d’entreprises et des investisseurs. Une vraie mafia qui sévit au dépend des peuples, sans considération de leurs droits et de leur dignité. L’argent n’a définitivement pas d’odeur et pas de couleur non plus.
Le franc CFA est un réel handicap au développement. La France, ancien colonisateur et bourreau de plusieurs gouvernements africains a toujours des avantages économiques à garder le CFA en circulation. Mais elle n’est pas confrontée à des gouvernements capables de lui tenir tête. L’Afrique souffrirait-elle du syndrome de Stockholm ?