La commission d’enquête parlementaire mise sur pied au lendemain du scandale du Samusocial a pointé une gestion interne désastreuse de l’asbl. Elle a aussi préconisé l’adoption de 30 recommandations, dont le remboursement des 350.000 euros de jetons de présence indûment perçus par les douze administrateurs de l’époque. Yvan Mayeur, Pascale Paraïta et Michel Degueldre ont, à eux seuls, touché plus de 250.000 euros. Le nouvel avocat du Samusocial a réclamé le remboursement des montants, mais l’association n’a, à ce jour, encore rien reçu. Les principaux intéressés disent attendre la fin de l’instruction judiciaire pour un éventuel remboursement.
Si le scandale du Samusocial a jeté l’opprobre sur les anciens administrateurs de l’association, ce sont aussi les acteurs de première ligne qui ont souffert de leurs agissements, se voyant à la fois discrédités, stigmatisés, voire insultés. À la suite du scandale, l’asbl a enregistré une perte conséquente de donateurs privés. Pour l’année 2017, le budget mensuel est passé de près de 30.000 euros à un peu moins de 20.000 euros. Qui dit moins de dons, dit moins de personnel sur le terrain. Les maraudes (processus d’aide d’urgence aux sans-abri et d’accompagnement vers des solutions de sortie de rue) comme la Médihalte (centre médicalisé du Samusocial) doivent faire face à une réduction de leurs équipes à cause de contrats non renouvelés, privant ainsi les plus démunis d’une aide essentielle. « C’est la conséquence de la fermeture, par les autorités fédérales, du site que le Samusocial consacrait à l’accueil des migrants désirant s’inscrire à l’office des étrangers. Ce site était financé par FEDASIL et il a été décidé par Théo Francken, Secrétaire d’État à l’Asile et aux Migrations, de ne plus reconduire cette convention », justifie la Ministre bruxelloise de l’action sociale, Céline Fremault (CdH). Pour limiter la casse, la COCOM (Commission Communautaire Commune) avait mis la main au portefeuille, à hauteur de 300.000 euros.
Refonte totale du milieu
En juin 2018, Bruxelles a adopté une nouvelle ordonnance qui réorganisera l’ensemble du secteur dès 2019. Conséquence du scandale ? Non. Le chantier de réforme du secteur avait été initié dès 2014 par les ministres bruxellois de tutelle Frémault (CdH) et Smet (sp.a), soit bien avant le « socialgate ». Le scandale a néanmoins accéléré la réforme et grandement influencé l’accueil d’urgence des sans-abri et la mise en place des outils de bonne gouvernance.
D’une part, le nouveau texte de loi prévoit d’encourager la diversification des services d’aide (Housing First, centres de jour, travail de rue, …). Leur coordination sera assumée par l’asbl Bruss’Help qui accompagnera les personnes dans le besoin vers les services adaptés. Cet organe public analysera le sans-abrisme à Bruxelles et élaborera différentes mesures de prévention. D’autre part, l’actuel Samusocial deviendra le « New Samusocial », une structure qui assurera un accueil d’urgence inconditionnel et gratuit. Ce nouvel organe, public aussi, sera soumis à un contrat de gestion transparent qui cadrera toutes ses missions.
Depuis le scandale, le Samusocial s’est également doté d’un nouveau conseil d’administration enclin à appliquer les mesures de bonne gouvernance et le bénévolat des membres du Conseil d’Administration et de l’Assemblée Générale (AG). Seule ombre au tableau: éclaboussé par le scandale, Michel Degueldre figure toujours parmi les membres de l’AG.
Une réforme qui ne fait pas l’unanimité
Au sein même du Samusocial, la nouvelle ordonnance est globalement bien perçue. « Certes, les travailleurs sont inquiets quant au futur de leur travail, mais ils sont conscients que c’est un mal pour un bien. Tout changement génère des incertitudes », déclare Christophe Thielens, porte-parole de l’asbl. « Il faut rassurer les équipes quant à l’organisation du travail et communiquer au mieux les changements à venir ».
Le directeur des opérations de l’asbl partenaire Médecins du Monde Stéphane Heymans, également membre du CA du Samusocial, se félicite d’une réforme “nécessaire et bénéfique”. Il regrette toutefois le manque de moyens alloués au volet médical et déplore un accès compliqué aux soins de santé.
Le député bruxellois Alain Maron (Ecolo), à la base des révélations sur les rémunérations excessives, pense que cette nouvelle ordonnance est une occasion manquée. Lors du travail de la commission d’enquête, l’opposition comme la majorité avaient veillé à ce que le rapport et les recommandations fassent l’objet d’un consensus large. Selon l’écologiste, il aurait dû en être de même au sujet de l’ordonnance. Or ici, la majorité est passée en force, ignorant tout une partie des recommandations des spécialistes et des acteurs du milieu. Le député des Verts reproche au texte de donner une place prépondérante au « New Samusocial », lui accordant la priorité sur les autres dispositifs d’insertion, notamment en termes de budget. « Il est temps de cesser cette politique du thermomètre qui distingue artificiellement la situation des sans-abri en fonction des saisons. La responsabilité et la dignité du politique, c’est d’abord de mener des politiques qui empêchent de tomber à la rue, ensuite de sortir de la rue ceux qui s’y sont échoués, en leur donnant accès à un logement et donc à une base pour rebondir », scande le député de l’opposition.
Dans un contexte toujours délicat, l’asbl peine toujours à regagner la confiance de certains donateurs qui refusent d’être associés à l’image salie du Samusocial. Toutefois, la structure remonte la pente. Les dons ont cessé de diminuer. Cette année, 200 places pour des familles sans-abri avec des enfants mineurs ont été ouvertes dans le cadre du plan hivernal, nécessitant l’engagement de main d’œuvre supplémentaire. Au total, pour le dernier hiver du Samusocial tel qu’on le connaît, 1.200 personnes pourront, au plus fort de l’hiver, bénéficier d’un hébergement d’urgence, de soins médicaux et d’un accompagnement social.