Il est 19h, le soir d’Halloween. Le “plus petit cinéma d’Europe” ré-ouvre ses portes après trois ans de fermeture. Nouveau gérant, nouveau projet ! Il faut l’avouer, la date est bien choisie pour revenir d’entre les morts. Mais, au delà de la symbolique, le cinéma entend bien rester parmi les vivants, et si possible pour longtemps ! Ce lieu mythique, connu des cinéphiles aguerris, est situé à moins de dix minutes à pied de l’UGC du Boulevard de la Toison d’Or. Les tâches accomplies par les nouveaux gérants, au cours du dernier mois précédant l’ouverture, rendraient les douze travaux d’Hercule anecdotiques.
Ce soir-là, quelques passants regardent curieusement l’intérieur illuminé d’un bâtiment resté trop longtemps dans l’ombre. Deux bougies sont déposées sur le seuil et de la décoration d’Halloween envahit fenêtres, portes, coins et recoins. A l’intérieur, un zombie, une sorcière et un vampire s’affairent. Luis Cardoso, le nouveau gérant, est là également. Lui n’est pas encore déguisé, visiblement trop occupé par l’organisation des derniers détails. Il va et vient, une rallonge dans une main, un tournevis dans l’autre.
“C’est une sacrée émotion ” – Isabelle Licher, associée et compagne de Luis Cardoso, après avoir vendu le premier ticket.
La foule grossit autour du Styx. Dans une des premières nuits noires de l’hiver, le nom du cinéma, éclairé par des spots, semble plus vivant que jamais et se détache de la pénombre qui essaye de l’englober. Quelques minutes plus tard, Isabelle Licher, associée et compagne de Luis Cardoso, déguisée en sorcière, ouvre les portes.
Après plus de trois ans, un ticket est vendu. Nouveaux gérants, cinéphiles confirmés, anciens habitués, curieux, vieux, jeunes… Tous se mélangent dans une euphorie douce.
Les 35 premiers chanceux s’engouffrent dans la salle. Rapidement, il ne reste plus de siège. L’équipe du Styx innove et installe encore quelques personnes sur les escaliers. Tout est prêt. Les nouveaux gérants, dont l’émotion est perceptible, prennent quelques instants pour expliquer leur projet et leur actualité.
20h45. Après un quart d’heure académique de retard, que les spectateurs ont vite fait de leur pardonner, l’écran noir devient blanc. Le film « Grave », production belgo–française, est lancé. Le premier plan, une longue et presque infinie route rectiligne entourée d’arbres, rappelle la longue route parcourue par Luis. La suite du film est teintée de surréalisme, de rebondissements, et d’interrogations. Un dernier « Hooo » de surprise du public clôture ce premier film, sous les applaudissements du public, visiblement conquis.
Un nouveau passeur
Luis Cardoso est le Charon des lieux. Âgé d’une cinquantaine d’années, ce cinéphile a repris le bâtiment, deux ans auparavant, en 2015, date à laquelle le cinéma avait fermé ses portes, pour des raisons financières. Beaucoup pensaient alors avoir enterré pour de bon ce genre de projet. Pas Luis. « Les estimations que j’ai demandées des coûts de rénovation et de gestion du cinéma étaient bien inférieures à celles annoncées par l’ancien propriétaire à la presse. Nous n’avons pas besoin du matériel nec plus ultra pour assurer des projections dans une petite salle. »
“J’ai assisté à la fermeture du cinéma sans le savoir” – Luis Cardoso
Au moment de rencontrer Luis, avant la réouverture, le temps semblait s’être arrêté au Styx, frappé par une disparition inattendue. Sur les murs, des anciennes bobines et des photos en noir et blanc étaient disposées dans des cadres poussiéreux. Indices du sommeil profond dans lequel fut plongé le cinéma. L’affiche du film BoyHood était toujours accrochée au mur. « C’est le dernier film qui avait été projeté ici » se souvient Luis. « J’ai assisté à la séance sans savoir que le cinéma allait fermer. »
BoyHood, film surréaliste. Son réalisateur, Richard Linklater, a mis douze ans à le terminer. A l’heure des blockbusters hollywoodiens et des pressions grandissantes imposées aux studios pour produire toujours plus, il s’est lancé un défi de taille : suivre l’évolution du personnage principal de sa tendre enfance jusqu’à son départ pour l’université. Un projet hallucinant sur le temps qui passe, complètement en décalage avec son temps. Ce décalage on le trouve également dans le projet de Luis qui fait revivre le cinéma de quartier à l’heure de Netflix, et à quelques pas de l’UGC Toison d’Or et de ses quatorze salles. De salle, Luis n’en n’a qu’une, mais comme il le dit, “ce qui fait le charme de cette salle, c’est que parfois, on veut venir voir un film et il n’y a plus de place. Parfois, on n’est que quatre, parfois tout seul. Et parfois, même, la séance est annulée parce-qu’il n’y a personne.“