Minuit ou plus tard : la soirée a été arrosée, deux amis se retrouvent à devoir partager le même lit. L’alcool n’aide pas à trouver le sommeil. Les langues se délient, les conversations se suivent sans se ressembler. Bien rapidement, des sujets que l’on aborde moins facilement en étant sobre sont traités : les préférences de la dernière petite copine, les pratiques osées d’un ami commun.
La nuit avance. Brusquement, la conversation s’arrête et laisse place à une attirance incontrôlée. Les amis deviennent des amants. Vient l’envie d’aller plus loin, une envie sur laquelle l’absence de préservatifs dans la pièce n’influera pas. « Prenons le risque : après tout, ça n’arrive qu’aux autres. »
Chlamydia x3 à Bruxelles
Le rapport de l’Institut scientifique de santé publique belge (ISP) publié le 16 octobre 2014 révèle des chiffres alarmants : toutes les infections sexuelles sont en hausse. La chlamydia est la plus diagnostiquée : le nombre de cas a plus que quadruplé en Wallonie et triplé à Bruxelles de 2002 à 2013. La gonorrhée et la syphilis suivent une tendance similaire et l’Institut reconnaît que ces chiffres sont sous-estimés : « Nous avons contacté les laboratoires pour enregistrer la totalité des cas d’infections sexuellement transmissibles (IST) dénichés. Mais cela se fait sur base volontaire et 40% d’entre eux ont refusé. », explique Ruth Verbrugge, épidémiologue à l’ISP. « Pendant plusieurs années, le pourcentage d’infections est resté stable. La période choisie de dix ans est la meilleure pour se faire une idée d’une progression d’IST sur le long terme. »
De rapides constats, tels que celui d’une majorité de jeunes contaminés dans le lot, nourrissent des idées reçues qui doivent être corrigées.
Peu importe « qui », le tout est « comment »
Le fait que les jeunes soient particulièrement touchés s’explique. « On a bien sûr plus de chances de tomber malade à un âge où la fréquence de rapports augmente. Pour des raisons physionomiques, le corps n’est pas prêt à se défendre et les jeunes sont vulnérables. »
Les jeunes de quel type ? “Comparer le comportement au niveau de la prise de risques sexuels entre des hétéros et des homos n’a aucun sens”, souligne Michael François, porte-parole de l’asbl Ex æquo, à Bruxelles. “Bien entendu, il y a un risque plus élevé de transmission lors d’une pénétration anale, c’est un fait biologique ! Mais les risques sont toujours multi-factoriels !” Ruth Verbrugge renchérit : “Une MST, tout le monde peut en avoir une !”
Thierry Martin, directeur de la Plateforme prévention sida, demande aux jeunes de toutes sexualités d’être vigilants : “Si vous avez des partenaires différents, faites le point. Il peut y avoir des conséquences graves jusqu’à la stérilité. Souvent, les symptômes sont présents mais on ne les remarque pas. Ils restent quelques jours puis disparaissent.”
Un problème de mal-information
L’efficacité des messages de prévention est remise en doute. Le manque de responsabilisation durant les rapports sexuels est dû, selon Michael François, à un manque d’information, voire une mal-information. “On est trop longtemps resté dans une mono-vision du ‘tout à la capote’, il y a un effet de lassitude. (…) De tels messages sont perçus comme moralisants. Et comme, dans le même temps, le regard sur la maladie a changé – on l’aborde à présent et tout à fait justement comme une maladie chronique – le SIDA (VIH) se banalise et cela conduit à des comportements de relâchement.”
Relâchement aussi du côté de la prévention : Thierry Martin relève une nette diminution des dépenses depuis les années 90, “où le SIDA faisait l’actualité. Les budgets sont moins importants. Ajoutez le fait que beaucoup de gens ne se sentent pas concernés par nos campagnes.” A un point que, lorsque le jeune se sent l’envie de passer à l’acte, aucune information claire, transmise auparavant, n’altère son excitation.
Pourtant, chaque MST trouve son propre public. “Pour la chlamydia, ce sont les jeunes, surtout les jeunes filles. Pour la syphilis, ce sont les hommes d’une trentaine d’années…” Son public… et son époque. “La syphilis, la gonorrhée… Ces IST n’existaient quasi plus, il y a vingt ans”, rappelle Michael François.
La nuit avance. Vient l’envie d’aller plus loin, une envie sur laquelle l’absence de préservatifs influera. “Ne prenons pas le risque : après tout, ça peut arriver à tout le monde.”
(article écrit en collaboration avec Pierre Galhaut et Guillaume Alvarez-Diaz)