Le professeur Stéphane Clément de Clety est pédiatre dans la section soins intensifs pédiatriques à l’hôpital Saint-Luc, à Bruxelles. Il a publié, en 2013, avec l’aide de deux confrères, une série de recommandations éthiques sur la fin de vie et l’euthanasie chez les mineurs. Il dresse un premier bilan d’une loi qu’il juge incomplète.
Aucune euthanasie n’a été enregistrée jusqu’à aujourd’hui. Cette loi est-elle inutile ?
Les avis divergent. Pour certains, il était indispensable de voter cette loi, même si son application est rare. Pour d’autres, il y avait d’autres priorités et d’autres alternatives possibles, qui n’ont jamais été développées, le politique n’ayant pas souhaité suivre cette voie.
Pour vous, cette loi émane d’une volonté politique…
Sans aucun doute. Nous n’avons pas pu donner notre avis sur la nécessité de cette loi. On a juste eu le droit de donner des recommandations et, dès lors, d’élaborer la meilleure loi possible. Certains politiques, qui défendaient ce projet, ont affirmé qu’il fallait choisir entre l’euthanasie et la souffrance. C’est totalement faux et irrespectueux pour les gens qui travaillent dans les unités de soins palliatifs pédiatriques. Aujourd’hui, grâce aux progrès de la médecine, on parvient à soulager presque toutes les douleurs.
Cette loi innovatrice est donc un trompe l’œil.
Exactement. C’est toujours bien de montrer qu’on est pionnier, qu’on s’occupe de la mort des enfants. Pour les politiques, il est plus facile de créer une loi, qui ne coûtera rien, que d’améliorer les soins palliatifs qui, eux, nécessitent de l’argent. Les alternatives proposées n’ont pas été correctement étudiées… ils n’avaient plus assez de temps avant les élections de 2014.
Les recommandations de l’Académie de Médecine données aux politiques dans l’élaboration de la loi ont-elles été suivies ?
En partie. Je regrette que la capacité de discernement ne soit jugée que par un psychologue ou un pédopsychiatre. Nous recommandons, pour cet examen, une équipe multidisciplinaire englobant l’ensemble du corps médical en charge de l’enfant.
Dans la loi belge, il suffit d’être deux pour acter une euthanasie. C’est trop peu pour une telle décision. Si un enfant est euthanasié sans avoir été pris en charge par une équipe de soins palliatifs pédiatriques, ce serait un échec de la médecine et de la société belge.
Quelles améliorations ont été développées suite à votre rapport ?
Il y a eu la création d’une unité de soins palliatifs pédiatriques. La majorité des hôpitaux s’est basée sur les recommandations de l’Académie de Médecine plutôt que sur la loi, ce qui laisse supposer que le suivi de l’enfant sera assuré correctement par une équipe multidisciplinaire, si un cas se présentait. Ensuite, les politiques ont refusé, (silence) pour le moment, l’euthanasie pour les enfants atteints de maladie psychique et dans les cas où l’enfant n’est pas en capacité d’exprimer cette demande.
Vous semblez craindre que l’euthanasie pour les mineurs ne soit qu’une étape qui pourrait être suivie d’autres extensions.
Ce risque existe. Certains veulent élargir l’euthanasie à ces groupes. Mais quelles sont les limites alors ? Il faut être vigilant. Si la société belge ne peut pas accompagner des adolescents atteints de maladie psychique ou handicapés, ça signifie que la société est gravement malade.
Finalement, l’euthanasie est-elle une bonne ou une mauvaise chose ?
L’euthanasie n’est pas un progrès de la médecine. Un progrès serait une amélioration plus importante encore des soins palliatifs pédiatriques dans laquelle l’euthanasie serait inclue en dernier recours.
Lexique
Euthanasie active : acte posé par un médecin dont l’intention est de mettre volontairement fin à la vie de quelqu’un d’autre à la demande de celui-ci.
Euthanasie passive : renoncement aux traitements médicamenteux, à l’administration d’opiacées ou de sédatifs à haute dose, … pouvant entrainer la mort.
Soins palliatifs : soins délivrés à une personne atteinte d’une maladie grave. L’objectif est de soulager les douleurs physiques et psychologiques. Ils s’adressent au malade, à sa famille et à ses proches.
Propos recueilli par Julien Bialas