Crise financière, faillite des banques, révolution populaire, chute du gouvernement… Depuis octobre 2008, l’Islande a connu des temps sombres. Aujourd’hui, l’île s’est redressée et entend bien faire payer les responsables de ce chaos. L’Islande a entrepris des poursuites judiciaires contre ses banquiers peu scrupuleux, les « banksters ». Certains d’entre eux se retrouvent déjà derrière les barreaux. L’Europe ne doit-elle prendre exemple sur l’Islande et poursuivre les responsables de la crise ? Eléments de réponse avec Éric Toussaint, président du Comité pour l’Annulation de la Dette du Tiers Monde et Nagayo Taniguchi, vice-président de l’Association de la Presse Internationale.
Si l’Islande s’est aujourd’hui remise de la crise financière de 2008, elle ne compte pas en rester là ! L’île poursuit désormais les « banksters » responsables de ce chaos.
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Révolution des Casseroles : la mobilisation porte ses fruits
Après la crise financière de 2008, l’Islande est au bord de la faillite. Ne pouvant accepter cette situation, la population se soulève et manifeste devant le Parlement, ustensiles de cuisine à la main, tambourinant sur des casseroles. Un maximum de bruit pour faire fuir le gouvernement responsable de cette crise, selon les Islandais. Outre la démission du pouvoir en place, le peuple exige le licenciement du directeur de la Banque Centrale, David Oddson, l’élaboration d’une nouvelle constitution et, surtout, ne pas devoir payer pour des dommages dont la responsabilité incombe aux banquiers et spéculateurs financiers, coupables de la crise. Le 1er janvier 2009, le premier ministre, Geir Haarde, démissionne. En avril, la gauche arrive au pouvoir. L’Alliance Démocratique Sociale s’allie avec le Mouvement des Verts.
L’une des principales banques, Landsbankinn, fait faillite. Ce qui touche non seulement l’île mais également le Royaume-Uni et la Hollande qui possèdent des succursales sur leur territoire. Ces deux pays réclament à l’Islande des sommes colossales afin d’honorer les promesses de Landsbankinn faites à ses filiales ; à savoir, le dépôt de bénéfices importants.
La population islandaise demande à son président, Olafur Ragnar Grimsson, de ne pas accéder à cette requête. Le 9 mars 2010, un référendum est organisé. 93% de la population refuse de donner quoi que ce soit au Royaume-Uni et aux Pays-Bas. Les citoyens estiment qu’ils n’ont pas à assumer les mauvaises décisions prises par quelques personnes peu scrupuleuses et malhonnêtes. Le président tente alors d’élaborer de nouveaux accords avec ces deux pays, mais le peuple n’en démord pas. Pour lui, il est hors de question de payer pour des erreurs qui ne sont pas les siennes.
En avril 2011, un second référendum vient renforcer cette opinion, l’Islande ne remboursera pas les dettes dont elle n’est pas responsable.
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Illégitime, illégale, insoutenable, odieuse
Selon Eric Toussaint, Président du comité pour l’annulation de la dette du Tiers Monde, il y a quatre types de dette dont on peut remettre en cause le payement. Les dettes illégitimes, les dettes illégales, les dettes insoutenables et les dettes odieuses.
La dette illégitime est une dette qui ne respecte pas l’intérêt général, qui a été contractée au profit d’une minorité privilégiée. Souvent à l’avantage des banquiers, des grands actionnaires ou des administrateurs de ces sociétés. Ce type de dettes s’applique également aux dettes publiques pour sauver les banques. C’est donc, par exemple, la dette contractée par la Belgique pour le sauvetage des banques Dexia et Fortis fin septembre et surtout octobre 2008.
La dette illégale est une dette contractée sans respecter les ordres internes du pays. Que ce soit d’un point de vue de la constitution, des lois ou du droit international.
La dette insoutenable est, quant à elle, une dette où le remboursement de celle-ci implique de ne pas pouvoir garantir aux citoyens la satisfaction pleine et entière de leurs droits humains et fondamentaux. C’est le cas, par exemple, de la dette grecque mais aussi de la dette portugaise ou chypriote.
La dette odieuse est une dette contractée en violant les droits humains fondamentaux, qu’ils soient civils, politiques, économiques, sociaux ou culturels.
Toujours selon le président du CADTM, les dettes islandaises seraient des dettes illégitimes. Car ces dettes contractées ne respectaient pas l’intérêt général. C’est suite à cela que le peuple s’est soulevé.
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De l’ombre à la lumière : l’impressionnante reprise de vitalité de l’économie islandaise.
A l’heure où les pays de l’Union européenne optent pour l’austérité budgétaire, l’Islande, elle, a remonté la pente en nationalisant plusieurs institutions financières et a rejeté les plans de restriction budgétaires qui s’offraient à elle.
Ce n’était pas forcément gagné : après le crash financier de 2008, les trois plus grosses institutions bancaires avaient fait faillite, le taux de chômage avait été multiplié par neuf entre 2008 et 2010 alors que le pays ne connaissait que le plein emploi jusqu’alors. La dette du pays représentait 900% de son PIB et la monnaie avait perdu 80% de sa valeur par rapport à l’euro. Le pays avait vu son PIB reculer de 11% en l’espace de deux ans. L’Islande est le pays européen qui a subi les ravages de la crise de la manière la plus violente et sur une période de temps très courte.
Deux référendums ont ensuite eu lieu. Le premier, en 2009, a permis au peuple d’éjecter le gouvernement qui souhaitait appliquer les plans d’austérité préconisés par le FMI. Le second a permis, en 2010, au peuple islandais de refuser, par un non massif, le remboursement des pertes causées par des banquiers peu scrupuleux. La constitution a, par après, été modifiée en collaboration avec le peuple islandais.
L’Islande doit son impressionnante remontée économique à plusieurs facteurs :
- le refus de tout plan d’austérité,
- la décision de ne pas renflouer en liquidités les trois grandes banques du pays en faillite mais plutôt de les nationaliser,
- la contrainte imposée aux banques privées d’annuler toutes les créances à taux variable dépassant 110% de la valeur sur l’immobilier, évitant ainsi une crise des subprimes comme celle survenue aux Etats-Unis.
Ainsi, sont devenus illégaux tous les prêts indexés sur des devises étrangères qui ont été octroyés à des particuliers, obligeant ainsi les banques à renoncer à ces créances. En dévaluant sa monnaie de quasi 50%, le pays a renoué avec la compétitivité. En perdant de sa valeur, la monnaie devient plus attractive pour les étrangers et favorise la reprise des exportations, relançant elle-même la croissance. Avec une croissance qui avoisine actuellement les 3%, et un des IDH (Indice de Développement Humain) les plus élevés au monde (13ème place/187), l’Islande démontre qu’il existe une alternative sérieuse à l’austérité, en misant sur l’investissement public et sur le recadrage de l’activité économico-financière par des autorités compétentes.