Selon Egbert Lachaert, député fédéral Open Vld et instigateur de la loi anti-squat, “ce qui semble échapper à toutes les organisations et au pouvoir juridique, c’est que derrière ces biens inhabités se cachent souvent des drames humains. Des propriétaires doivent parfois épargner longtemps pour pouvoir entamer des rénovations. Que le bien soit occupé ou pas, les propriétaires continuent à payer un emprunt. Eux aussi peuvent avoir des difficultés financières”. Effectivement, un grand nombre de logements se retrouvent vides suite à des problèmes d’héritages ou à un manque de fonds nécessaires aux rénovations indispensables pour répondre aux normes locatives.
“Le squat n’est pas une solution à la crise du logement” Egbert Lachaert, instigateur de la loi.
“Pourtant, il existe des solutions pour aider les propriétaires confrontés à ces problèmes” argumente Anne Bauwelinckx, chargée de projets au RBDH (Rassemblement Bruxellois pour le Droit à l’Habitat). “Des primes de rénovation peuvent être octroyées par la ville et il est possible de passer via une AIS (Agence Immobilière Sociale). Celle-ci se charge des petites rénovations et de l’administratif. Le propriétaire perçoit un loyer un peu moins important, mais celui-ci est garanti. Même en cas d’inoccupation ou d’insolvabilité”. Un inconvénient de cette pratique, est que logement est “réquisitionné” pendant 9 ans.
Egbert Lachaert admet que le nombre de bâtiments vides est problématique : “Mais le squat n’est pas une solution à la crise du logement”, la solution est “de combattre l’inoccupation, renforcer le recensement et sanctionner les propriétaires des bien inoccupés, les forcer à utiliser leur bien à bon escient ainsi qu’appliquer plus d’amendes.” Autant de mesures qui existaient pourtant déjà avant la nouvelle loi anti-squat et qui sont même de plus en plus soutenues par la région.
La convention d’occupation plutôt que le squat
Autre piste possible : Communa, une ASBL qui fait de l’occupation conventionnée. Cette association ne “squatte” pas, mais s’occupe plutôt de réhabiliter des bâtiments vides et de les mettre à disposition de projets sociaux. “On fait de l’occupation transitoire. Un squat, il n’y a ni titre, ni droit. Nous, nous obtenons des conventions d’occupation en accord avec les communes pour l’occupation de bâtiments vides.” Cette ASBL contacte des dizaines voire des centaines de propriétaires afin d’obtenir des conventions (Voir les différents projets de Communa à Bruxelles.
Ce fut, notamment, le cas à Ixelles. “On a pris contact avec Communa dans une politique proactive” explique Caroline Désir, échevine à la rénovation urbaine, contrats de quartier et propriétés communales à Ixelles. “La commune a réquisitionné un bâtiment pour y construire une crèche. On sait que les travaux ne vont pas commencer avant 4-5 ans, nous avons donc délégué l’utilisation de ce bâtiment à Communa pour qu’ils y établissent leurs projets sociaux.” À Ixelles, sur un parc de près de 450 logements publics, 26 sont inoccupés. 13 pour causes de travaux, 13 pour cause de rénovations plus lourdes en attente.
“Il existe des solutions pour les propriétaires souhaitant mais ayant des difficultés à remettre son bien en location” Anne Bauwelinckx, chargée de projets au RBDH
Aujourd’hui, Communa détient une convention pour 7 bâtiments, logeant environ 40 occupants. On comprend très bien que cette initiative, à elle seule, ne peut répondre à la crise du logement. Certains exigent une meilleure synergie, un meilleur partage d’informations entre les différentes associations, mouvements qui luttent pour le droit au logement. En effet, ils sont tous centrés autour du même combat.
“Le politique peut montrer la voie”
Vincent De Wolf, bourgmestre d’Etterbeek, et chef du groupe MR au gouvernement bruxellois, s’est distingué en juillet 2017 en réquisitionnant un immeuble pour des sans abris.
Cependant, il soutient le gouvernement et le bien fondé de la loi anti-squat. “Il y a eu des problèmes à Gand et dans cette situation, il est légitime que le politique réagisse. Ce n’est pas concevable que quelqu’un squatte chez vous, sans votre accord. Il faudra voir comment la loi va être appliquée également. De plus, les mesures décidées sont différentes si le bâtiment occupé est public ou privé” Le chef du MR bruxellois rappelle aussi que le politique a son rôle à jouer et peut prendre ses responsabilités. “Quand j’ai réquisitionné le bâtiment privé, j’ai dû procéder dans l’urgence et me mettre rapidement en relation avec le propriétaire. Malgré sa réticence initiale, un accord a été trouvé. D’ailleurs, mon arrêté a été utilisé depuis lors par d’autres bourgmestres, notamment Philippe Close (Bruxelles-Ville). La réquisition ainsi menée peut montrer la voie et faire bouger les choses.”
La spéculation au coeur du problème
“On peut prendre le problème comme on veut, mais le vrai problème c’est le système économique dans lequel on vit, c’est le capitalisme”, assène un membre du collectif Piratons Bruxelles. De fait, pour ce qui est de beaucoup de logements vides, il s’agit souvent d’une conséquence directe de la spéculation immobilière. Des propriétaires possédant plusieurs biens attendent les fluctuations du marché pour revendre leur bien avec une plus-value. Un calcul assez simple. Limiter l’offre augmente la demande, ce qui contribue à la hausse des prix et donc à leur plus-value.
Des mesures existent pour lutter contre cette tendance. Des amendes de l’ordre de 500 € par mètre courant de façade, multiplié par le nombre d’étages, par an. Dissuasif ? Les responsables de Communa, une association s’occupant de réhabiliter des bâtiments vides et les mettre à disposition de projets sociaux, en doutent. “Il nous est déjà arrivé d’occuper une maison de quinze mètres de façade courante sur quatre étages. Cela représente une amende annuelle de 30 000€ pour un bien qui en vaut 3 000 000 €. Une plus value immobilière de seulement un pourcent annuel absorbe déjà complètement la sanction.” Depuis plusieurs années, d’autres sanctions s’accumulent avec pour cible principale les propriétaires possédant des logements vides à des fins de spéculation immobilière.
“Au niveau régional, l’occupation précaire est tout à fait possible en signant une convention d’occupation “ Cécile Frémault, minitre du Logement de la Région bruxelloise.
Les mesures, mises en place depuis plusieurs années, pour lutter contre ces pratiques mettent cependant du temps à s’harmoniser. Céline Frémault, ministre du Logement de la Région bruxelloise, explique qu’une nouvelle cellule “logements inoccupés” a été créée en 2012. Depuis lors, 10 communes sur 19 ont signé une convention avec la Région pour qu’elles laissent leur règlement communal de côté (taxe sur les inoccupés n’aboutissant pas toujours à un effet dissuasif et à une remise sur le marché) au profit du système régional. Il y a donc une réelle harmonisation au point de vue des sanctions, une régionalisation des dispositifs de lutte contre l’inoccupation.
Pour les neuf communes restantes, comme l’explique Anne Bauwelinckx, chargée de projets au RBDH (Rassemblement Bruxelles pour le Droit à l’Habitat), “L’application des amendes prévues par la région est laissée au bon vouloir de chaque commune. Vu qu’elles ont chacune une organisation politique différente, il y a un certain déséquilibre”.
Cependant, Céline Frémault l’assure “des pourparlers sont en cours”. 85 % des amendes récoltées au niveau régional sont rétribuées aux communes avec l’obligation pour celles-ci d’affecter ce budget à leur politique du logement. C’est grâce à ces subsides que la commune d’Ixelles a, depuis un an, la possibilité d’affecter quelqu’un à temps plein pour cette tâche. Les résultats sont prometteurs. En un an, le nombre de logements vides recensé à Ixelles est passé de 16 à 70. Selon Caroline Désir, “c’est exponentiel, je suis certaine que si on assignait trois personnes supplémentaires à cette tâche, on en trouverait encore plus”.
Autre fait souligné par la ministre, au niveau régional, l’occupation à titre précaire est tout à fait possible en signant une convention d’occupation. C’est un outil utilisé en pratique. Il n’y a dès lors pas nécessairement de tension entre les deux. En fin de compte, c’est la volonté du bailleur qui déterminera s’il souhaite ou non que son bien soit inoccupé, sachant que son droit de propriété sera toujours mis en balance avec le droit au logement si son bien reste inoccupé durant une période trop longue, sans juste motif.
Le droit de gestion publique ? Un dispositif (trop) coûteux
Enfin une dernière mesure existe, même si, elle est peu utilisée : le droit de gestion publique. Par exemple, un bien dont les consommations (d’eau et d’électricité) sont anormalement basses depuis 12 mois peut être réquisitionné par un “opérateur immobilier public” qui peut gérer provisoirement le logement, y effectuer des travaux et le mettre lui-même en location. Ces nouveaux logements sont en priorité proposés aux locataires expulsés des habitations ne répondant pas aux normales minimales de sécurité et de salubrité. Cet outil est peu utilisé. Les opérateurs immobiliers publics ne souhaitent pas toujours ou n’ont pas les moyens de remettre aux normes des logements sans être sûrs d’amortir leurs investissements. Enfin, il est compliqué et coûteux de chasser les bâtiments inoccupés. Le droit de gestion publique a cependant été utilisé en 2016 par la ville de Bruxelles pour réquisitionner un bâtiment.
Des dispositifs pour permettre à tout un chacun de se loger, il en existe. Communa, les AIS, les contrats d’occupation précaire… Des moyens néanmoins limités. Certaines squatteurs n’entrent toujours pas dans les cases. Les différents acteurs comprennent la nécessité de prendre des mesures pour éviter l’occupation de logements habités, comme ce fut le cas à Gand. Mais en criminalisant l’occupation d’un bien inhabité, les législateurs criminalisent ceux vivant dans la précarité… C’est en tout cas le point du vue des squatteurs et des défenseurs du droit au logement. Alors, comment cette loi anti-squat sera-t-elle appliquée, sur le terrain ? Des peines de prison seront-elles prononcées ? A ce stade, personne ne le sait.