« Nous n’étions pas en attente de cette loi. » Cette phrase vient, étonnamment, du président du syndicat des propriétaires et copropriétaires, Olivier Hamal. « Nous attendions plutôt des mesures pour lutter contre les impayés de loyer. En plus, le texte voté va rendre les expulsions plus compliquées, alors qu’elles étaient assez rapides avec les procédures en référé. Les mesures n’apportent rien de neuf et vont compliquer les choses. Il faut aussi se souvenir que les squats sont un problème assez limité pour les propriétaires. » Un avis partagé par la magistrature, déjà débordée et en cruel manque d’effectifs pour assouvir toutes ses compétences.
Le fait divers qui tombe à pic
Si ni les propriétaires, ni la magistrature n’étaient en attente d’une telle mesure, qui est à l’initiative de ce durcissement législatif ? Dans les faits, ce sont trois députés de l’Open Vld : Carina Van Cauter, Egbert Lachaert et Vincent Van Quickenborne qui ont porté le texte. « Plusieurs pouvoirs politiques de droite voulaient durcir cette loi depuis des années, mais l’opinion publique n’était pas favorable », explique Anne Bauwelinckx, chargée de projets au RBDH (Rassemblement Bruxelles pour le Droit à l’Habitat).
En mars dernier, un évènement d’actualité est venu bouleverser les moeurs. À Gand, une famille rentre chez elle après quelques mois passés à l’étranger. Surprise ! Leur maison est occupée par des Roms. Encore pire, les propriétaires ne savent rien faire dans l’immédiat pour reprendre possession de leur bien et sont obligés de dormir à l’hôtel en attendant que la justice opère. Cette histoire fait grand bruit dans les médias flamands. Les trois députés de l’Open Vld en profitent alors pour relancer le débat sur cette loi dite “anti-squat”, dans le pipeline depuis déjà plusieurs années. Le 5 octobre 2017, la loi est votée à la Chambre, majorité contre opposition.
“La population, elle, s’est largement positionnée sur le sujet, notamment sur les réseaux sociaux.” – Egbert Lachaert (Open Vld), instigateur de la loi
Le RBDH, de même que trois autres associations luttant contre la crise du logement ont été auditionnées en commission parlementaire pendant l’élaboration du texte. Tous ont largement plaidé contre ces nouvelles mesures, dénonçant plusieurs aberrations, forts de leurs expérience de terrain. Pourtant, aucun amendement majeur n’a été appliqué suite à leurs interventions. “Ces intervenants étaient invités par l’opposition”, explique Egbert Lachaert, député fédéral Open Vld et instigateur de la loi. “Ceux qui n’ont pas été invités, en revanche, c’est l’opinion publique ! La population, elle, s’est largement positionnée en faveur des nouvelles mesures, notamment sur les réseaux sociaux.” Une loi qui serait donc une réponse à des commentaires sur internet…
Une nuance qui a toute son importance
Mais comment les Roms, au cœur du fait divers de Gand, se sont-ils retrouvés là ? En réalité, il ne s’agissait pas d’un squat en tant que tel. C’est un “marchand de sommeil” qui s’était introduit dans la maison, remarquant qu’elle était vide depuis plusieurs semaines. Il s’est ensuite fait passer pour le propriétaire auprès des Roms et leur a fait payer un loyer pour l’occupation des lieux.
“Il y avait effectivement une faille juridique à combler” – Antoine Dutrieu, chargé de projet chez Communa ASBL
Il y a donc une nuance entre “occupation de bien habité” et “occupation de bien inhabité”. Selon Antoine Dutrieu, chargé de projets chez Communa, une association s’occupant de réhabiliter des bâtiments vides et de les mettre à disposition de projets sociaux, “il y avait effectivement une faille juridique à combler à ce niveau-là. Ce n’est pas normal qu’un bien habité soit squatté et il pouvait être légitime d’opter pour des mesures pour faciliter l’expulsion des usurpateurs dans ce cas précis. Cependant, ce que nous déplorons, c’est que les instigateurs de la loi en ont profité pour aller beaucoup plus loin et également criminaliser, spécialement en incluant dans le champ pénal, l’occupation de biens inhabités par des gens qui n’ont parfois pas d’autre choix, et ça, c’est inacceptable.”
Le cas de Gand, pratique récurrente ou simple fait divers ?
“C’est une pratique qui est extrêmement rare. Nous n’entrons jamais des bâtiments occupés”, explique un anarchiste, squatteur et membre du collectif PiratonsBxl. Depuis quelques années, ce jeune d’une vingtaine d’années bouge de squat en squat. La revendication portée par le collectif ? Tolérer, et non pas légiférer sur le squat, c’est le point de vue que lui et son collectif défendent.
Découvrez son quotidien dans la suite de notre série sur la loi anti-squat :
La vie de squatteur : “Mentalement, c’est difficile”