Sébastien Gobbi
Photos : Garmin, Patrick Frauchiger, Rolland Tessier, DomyNiko, Nabolynx
6 avril 2017
Qatar, Émirats arabes unis, Bahreïn, … le cyclisme s’exporte depuis une dizaine d’années hors de l’Europe, principalement pour des raisons financières. Parfois, la santé des coureurs y est même compromise. Aujourd’hui, le climat entre l’Union Cycliste Internationale (UCI) et les équipes professionnelles ne cesse de se détériorer.
Octobre 2016. Le mercure flirte avec les 37 degrés à Doha. C’est la deuxième fois que le Qatar accueille les championnats du monde de cyclisme. Face à cette chaleur accablante, les coureurs sur la start-list menacent de boycotter le contre-la-montre par équipes. Finalement, sans doute sous la pression des enjeux financiers, ils prendront tout de même le départ de l’épreuve qui sacrera l’équipe belge Etixx Quick-Step.
Depuis une dizaine d’années, les instances internationales du cyclisme tentent de s’aligner sur les autres sports et l’argent ne cesse d’y prendre de l’importance. Ainsi, la Team Sky de Christopher Froome est repartie avec la coquette somme de 599 240 euros lors du dernier Tour de France. Astronomique ? Plutôt ridicule par rapport aux montants dépensés par les clubs de football ces dernières années. Il est en effet difficile pour le cyclisme de rivaliser avec les sports les plus populaires. Si aujourd’hui certains clubs de football se permettent d’enchaîner les chèques aux nombreux zéros, la pareille est impossible en cyclisme.
En effet, dans ce sport à deux roues, il n’existe aucune indemnité de transfert des coureurs. « La durée des contrats dans le cyclisme doit être en phase avec le contrat des partenaires. Je ne peux par exemple pas signer un coureur jusqu’en 2019 si j’ai un contrat avec le partenaire de l’équipe jusqu’en 2018 », détaille Vincent Lavenu, directeur sportif d’AG2R La Mondiale dans une interview accordée à Eurosport. Et puis, le budget ne le permet pas forcément non plus. Formation la plus aisée du peloton, la Team Sky dispose d’un budget ne dépassant pas les 25 millions d’euros lorsque la Team Movistar tourne autour de 8 millions.
De plus, en cyclisme, il n’existe aucune billetterie puisque les courses sont gratuites pour le public, et les droits de retransmissions télévisuelles des grandes épreuves sont captées par les organisateurs et non par les équipes participantes. Mais alors, sur quoi repose le modèle économique de ce sport ?
Le modèle économique du cyclisme semble fragile puisque les équipes dépendent uniquement de leur(s) sponsor(s). En cas de retrait de ce dernier, l’équipe doit trouver rapidement un nouveau partenaire. Dans le cas contraire, elle disparaît. Ainsi, chaque saison, plusieurs formations sont forcées de quitter le peloton professionnel, laissant au passage de nombreux coureurs sur le carreau. IAM Cycling Team (Suisse) en 2016 et Euskaltel-Euskadi (Espagne) en 2014 sont les derniers exemples. Le temps de vie d’un sponsor dans le cyclisme est généralement court. Même s’il existe des exceptions (FDJ depuis 1997, AG2R La Mondiale depuis 2000 ou encore Quick-Step depuis 2003), le sponsoring dépasse rarement dix années. Signalons encore ici que les équipes les plus pérennes ont des licences françaises et belges. De plus, ces derniers temps, le cyclisme a tendance à se mondialiser.
En 2006, lors de la création du Pro Tour – devenu WorldTour – (épreuves rassemblant les meilleures équipes et coureurs du monde), 20 formations formaient cette haute sphère. Parmi celles-ci, 19 évoluaient sous des licences européennes (France, Allemagne, Espagne et Italie principalement) et une seule disposait d’une licence américaine.
Douze années plus tard, l’élite du peloton a grandement évolué. On y retrouve plus que 18 formations et uniquement dix européennes. Les États-Unis sont désormais les plus représentés avec trois équipes et l’Afrique du Sud, l’Australie, le Kazakhstan ou plus dernièrement le Bahreïn et les Emirats arabes unis, se sont lancés dans ce sport. Avec un sponsor émirati, UAE Abu Dhabi a vu le jour fin 2016, prenant la succession de Lampre-Merida, une formation alors sous licence italienne.
Ainsi, à ce jour, l’Italie, qui est pourtant une des pionnières dans la pratique de la petite reine, n’a aujourd’hui aucune formation parmi l’élite mondiale. Pire, ses meilleurs coureurs que sont Vicenzo Nibali (Bahrain Merida), Fabio Aru (Astana), Domenico Pozzovivo (AG2R La Mondiale) ou encore Diego Ulissi (UAE Abu Dhabi) sont forcés de migrer à l’étranger. Au contraire, les deux dernières équipes créées au Bahreïn et aux Émirats arabes unis, ne possèdent quasiment aucun coureur originaire de leur pays dans leur effectif.
Marc Madiot digère mal le nouveau calendrier (Photo : Roland Tissier).
Le cyclisme tend vers la mondialisation avec une forte croissance des équipes hors Union Européenne, et il en va de même pour les épreuves. Ainsi, dans le calendrier WorldTour en 2006, il n’existait aucune course hors de l’Europe. Onze années plus tard, huit épreuves y sont recensées. Australie, Canada, Turquie, Chine ou encore Émirats arabes unis sont visités par les coureurs du peloton professionnel. De ce fait, durant ce laps de temps, le calendrier de l’élite mondiale est passé de 18 à 37 courses.
Ce qui est gênant, ce n’est pas l’ouverture de ce sport sur les autres continents mais un calendrier désormais surchargé. Un vrai casse-tête pour les formations du WorldTour. « Là où la saison dernière, on avait encore des plages de récupération pour les coureurs, ce n’est plus le cas aujourd’hui ! On n’a pas pu augmenter les effectifs des équipes mais on se retrouve avec 37 épreuves à gérer… Psychologiquement, c’est délicat de dire aux coureurs que telle ou telle course a plus de valeur qu’une autre, à cause d’une histoire de points. C’est ennuyeux pour tout le monde », s’insurge Jean-Baptiste Quiclet, entraîneur du français Romain Bardet, dans un entretien avec le magazine Planète Cyclisme.
Problème sportif mais aussi et surtout problème financier. « Le calendrier n’a aucun sens. Par exemple, après le Tour de France, il y aura trois épreuves WorldTour une semaine après l’arrivée, avec le Tour de Pologne, la classique de Londres et San Sebastian. C’est impossible d’avoir le budget et l’effectif pour être compétitif », peste pour sa part Marc Madiot, manager de la formation FDJ, dans une interview accordée au CyclismActu. Le nouveau calendrier est donc loin de faire que des heureux. La grogne généralisée dans le peloton a finalement débouché sur la naissance d’une organisation parallèle au WorldTour et regroupant dix équipes professionnelles.
Oleg Tinkov reclame de nouvelles mesures (Photo : Patrick Frauchiger).
Ce nouveau regroupement, nommé Velon, a pour but de faire pression sur les dirigeants et organisateurs du cyclisme mondial. Les membres de ce groupe souhaitent modifier le modèle économique du cyclisme, à la fois en obtenant une partie du pouvoir de l’UCI (Union Cycliste Internationale) mais aussi en récupérant une partie des revenus des organisateurs des courses. L’organisation propose la création de nouvelles courses dont les droits appartiendraient uniquement aux équipes et avec une dépendance au calendrier de l’UCI et aux courses des organisateurs privés. Ainsi, Velon a récemment officialisé son propre format de courses, appelé les Hammers Series. Elles se dérouleront entre le 1er le 4 juin prochain, aux Pays-Bas, dans la province du Limbourg.
Parallèlement, d’autres voix s’élèvent pour changer les choses. Jusqu’ici, le budget du cyclisme repose uniquement sur le sponsoring. La mise en place d’une billetterie sur les différentes courses cyclistes a été un temps envisagée mais semble être une idée utopique. Le milliardaire russe et ancien propriétaire de la formation Tinkoff, Oleg Tinkov, a pour sa part soumis une autre proposition. Pour se passer de sponsors parfois trop petits et pas assez rentables, il souhaite que chaque équipe puisse récupérer une partie des droits TV. Mais, pour le moment, aucune décision n’a été prise sur le sujet. Les coureurs, principaux acteurs de la discipline, restent quant à eux prisonniers de cette lutte financière.
Sébastien Gobbi
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