Germée à l’occasion de la Summer School de l’AJP 2015, l’idée s’est concrétisée à l’automne. Huit masterants, avec à leurs côtés une formatrice ihecsienne, décident d’envisager le thème surmédiatisé des migrants de Calais d’une manière qu’ils jugent originale. Ce ne sera non pas un ordinaire billet d’ambiance, une critique acerbe de l’effarante et sempiternelle situation des occupants, ni même l’esquisse d’une analyse clairvoyante. A la suite d’un débat de fond visant à déterminer le type de production, la bande s’accorde sur un format exclusivement numérique : ce ne sera pas un documentaire, mais bien un newsgame. Autrement dit, un jeu informatif permettant le traitement ludique d’une problématique sociale d’actualité. Qu’il soit entendu, l’intention n’a aucune vertu caricaturale ou humoristique, mais bien un aperçu imagé et sonorisé des lieux.
De précédentes productions, à l’instar du webdocumentaire “Voyage au bout du charbon“, sorti en 2008, nourrissent nos inspirations et concourent à l’ébauche d’une première maquette. La réflexion fait son chemin et accouche d’un embryon de plan. Stylos, micros, caméras sur le dos, les journalistes en herbe se plongent dans l’ambiance déconnectée du Calaisis durant deux jours, les 7 et 8 octobre 2015.
Sur place, ils côtoient les acteurs qui animent le bidonville au quotidien, des migrants eux-mêmes, en passant par les organismes solidaires ou les volontaires. Ils prennent le thé sur invitation de Somaliens, goûtent le repas traditionnel afghan, conversent avec les forces de l’ordre et les riverains. Ils récoltent clichés et témoignages aussi touchants qu’insoutenables, capturent les moments de joie et de partage qui égayent les journées éreintantes des candidats à l’exil outre-Manche.
Trois mois en post-production
De retour en Belgique, la troupe trie, retouche, bouleverse l’architecture du projet pendant plus de deux mois. Elle doit aussi renoncer à certaines photographies, certains récits… parce qu’on ne peut pas tout raconter au fil du newsgame qui doit rester interactif. Le dernier mois est consacré au développement web et à la résolution des bugs en tous genres. Grâce à l’aide de journalistes-développeurs et de gameurs au regard critique, le newsgame prend forme. Le résultat est bien sûr perfectible. Il l’est toujours. Mais la partie est lancée.
Se glissant dans la peau d’un nouvel arrivant, le « joueur » est invité à suivre à sa guise l’itinéraire supposé de ce dernier. De l’entrée sous le pont de l’A16, différentes propositions s’offrent à lui. A la recherche d’un emplacement provisoire, éphémère au possible, il déambule dans le camp entre les abris de fortunes, découvre les conditions de vie insalubres. Il comprend vite que les communautés ont depuis longtemps pris leur quartier relativement à leur nationalité ou leur religion. Qu’il faudra être matinal pour prendre part aux rushs sur les rations alimentaires et les distributions de vêtements. Que l’occupation prééminente consiste à échafauder le périlleux périple du soir. Qu’une fois la nuit tombée, les trafics attisent les tensions inter-communautaires. Que les autorités feront usage de la force si elles le jugent nécessaire. Qu’il faudra s’armer de patience ou tenter le diable. Que l’État français, submergé par les rappels à l’ordre, se morfond dans l’enlisement.
Le 23 novembre, le Conseil d’État ordonnait à la France d’améliorer les conditions sanitaires dans « la Jungle ». Les près de 5 000 migrants disposeront désormais de quelques bâtiments en dur et de plus de quarante toilettes…
Romain Sinnes