Le robot Philae s’est posé sur la comète Tchouri ce 12 novembre 2014. L’évènement est qualifié par le monde scientifique d’« exploit spatial du siècle », et il a été réalisé par l’Europe ! Explications de Gaëtan Kerschen, professeur dans le Département d’aérospatiale et mécanique à l’ULG.
La mission Rosetta est-elle une réussite ?
Oui. Malgré quelques soucis à l’atterrissage, la mission s’est bien passée. C’est un évènement unique, ce sont les premières images reçues depuis une comète. Le défi à réaliser était énorme. Il s’agissait de détacher un atterrisseur d’une sonde après plus de 10 ans de voyage, et de le poser sur une comète allant à plus de 100.000 kilomètres par heure. Imaginez, si vous laissez une voiture dans un garage pendant 10 ans, on n’est pas sûr que tout fonctionnera en la sortant. Pour Rosetta et Philae, c’est pareil. Et après 10 ans de voyage, presque tout a fonctionné ! Cet exploit a été réalisé par l’Europe, alors que l’ESA (European Space Agency) a été pendant longtemps dans l’ombre de la Nasa américaine et de la Russie.
Etes-vous d’accord avec la cote de « 8/10 » donnée par certains experts à la mission Rosetta ?
Nous avons réussi un défi technique énorme ! Mais il est vrai que tout n’est pas parfait. La propulsion qui devait freiner l’atterrissage n’a pas réussi. Les harpons ne sont pas arrimés ce qui est une grosse perte car si Philae n’est pas fixé cela rend incertain le forage du sol. Or, c’était ce qui permettait l’analyse de la matière de la comète en profondeur. Ceci dit, le forage n’est pas le seul objectif de Philae, ni le seul moyen d’obtenir des informations. D’autres instruments donnent des informations précieuses sur la matière à la surface, ce qui nous apprendra aussi beaucoup sur la composition des matériaux primitifs. De plus, la sonde Rosetta, sans le robot, est elle-même un succès. Elle comporte une dizaine d’instruments qui étudient l’extérieur de la comète, via des ondes de différentes longueurs (radio, ultraviolets, infrarouges).
Pourquoi avoir ciblé la comète Tchouri ?
Tchouri n’était pas la comète choisie initialement. Les scientifiques avaient élu Wirtanen, mais il y a eu un problème avec le lanceur, ce qui a retardé l’opération. Or, dans ce genre de mission, on travaille dans une certaine fenêtre temporelle. Les éléments comme les comètes sont en mouvement permanent. On a « loupé » le rendez-vous avec Wirtanen et nous devions trouver une comète qui passerait dans la trajectoire de Rosetta dans la même période, car on ne pouvait prolonger la mission de plusieurs années. Rosetta a été conçue pour un voyage de 10 ans. D’autres critères scientifiques ont également joué leur rôle dans le choix de Tchouri, mais la comète devait en premier lieu correspondre au timing de la sonde.
La mission Rosetta a été lancée en 2004. Pourquoi le voyage a-t-il été si long ?
Le lanceur n’était pas assez puissant pour envoyer « directement » la sonde près de la comète. Rosetta n’avait pas suffisamment d’énergie pour l’atteindre. La sonde a en fait une sorte de « billard cosmique », en repassant près des planètes pour bénéficier de leur force de gravité.
Quelles informations ont déjà été recueillies durant ce voyage ?
On a notamment profité de la longue route de Rosetta pour recueillir des informations sur deux astéroïdes que nous avons croisés. Par exemple, en 2008, Rosetta est passée à moins de 800 km de l’astéroïde Steins, et nous avons également obtenu des informations sur Lutetia en 2010. Nous avons pu déterminer leur forme exacte, vérifier des théories concernant la composition et la densité des astéroïdes. On a notamment découvert que Steins pourrait se scinder dans le futur et qu’il avait déjà été soumis à un impact. C’est intéressant car, à l’instar des comètes, on n’en sait pas beaucoup sur ces matériaux du système solaire.