SEMAINE SPÉCIALE BONDY A BRUXELLES. À l’image de l’emblématique quartier new-yorkais, la commune bruxelloise de Molenbeek-Saint-Jean connaît de nombreux bouleversements depuis les attentats de novembre 2015. Ulrich et Kozi (Bondy Blog) se sont intéressés aux conséquences sur l’attractivité immobilière de cette commune de plus de 90 000 habitants.
Surnommée « le petit Manchester » dans les années 1960, en raison de son essor industriel, la commune bruxelloise de Molenbeek-Saint-Jean va-t-elle connaître une gentrification à l’instar d’un quartier comme Brooklyn ? C’est en tout cas ce que pense Patrick Menache, responsable du réseau d’agences immobilières Macnash à Bruxelles. « Il faut attendre trois ou quatre années, c’est la période nécessaire pour oublier, pour que les autorités remettent les choses en ordre, que les prix baissent et que les nouveaux projets se mettent en place », explique-t-il. « Avec les docks, Molenbeek deviendra aussi chère que Londres ou Anvers », prophétise Patrick Menache qui a bon espoir que la commune aujourd’hui décrite comme un nid du terrorisme devienne le « Little Brooklyn of Brussels ».
Il y aurait, aujourd’hui, quelque 700 biens immobiliers en vente à Molenbeek (maisons, appartements et maisons de rapport). Mais peut-on parler de véritable fuite en avant de la part des habitants de la commune ? En novembre dernier, l’attaquant international belge Romelu Lukaku avait, par exemple, déclaré à la presse britannique qu’il envisageait de vendre « le plus rapidement possible » son appartement molenbeekois et ainsi mettre « sa famille en sécurité ». Pour Karim Majoros (Écolo), échevin du Logement et des Propriétés communales à Molenbeek-Saint-Jean, on ne peut pourtant pas parler d’exode. « C’est un phénomène difficile à mesurer, mais nous avons constaté que la population était relativement stable voire même en légère augmentation, révèle-t-il. Et 700 logements en vente sur les 38 000 répertoriés, cela ne me paraît pas excessif ». Karim Majoros indique également que, sous son impulsion, Molenbeek compterait de moins en moins de logements vides, car ils sont taxés trois fois plus qu’auparavant. Et qu’à la place de ces biens vacants, des logements publics et privés voient ou vont voir le jour.
Une clientèle « bobo ou intermondialiste qui a l’habitude de vivre dans la mixité »
Pour Patrick Menache, il existe deux types de personnes qui vendent leur bien : il y a d’abord la génération des parents, travailleurs immigrés, arrivés il y a une trentaine d’années et qui veulent prendre leur retrait, parfois au Maghreb. Et il y a des gens qui veulent changer de statut, c’est-à-dire passer d’un petit appartement à un plus grand logement. Rien à voir donc avec la politique ou les attentats de Paris. Côté acheteurs, l’agent immobilier décrit une clientèle « bobo ou intermondialiste qui a l’habitude de vivre dans la mixité ». À en croire Patrick Menache, il faut encore attendre quatre mois pour acheter et voir des prix attractifs.
Selon Karim Majoros, si stagnation ou baisse des prix il y a, cela ne pourrait que présager de bonnes choses, car un tel phénomène pourrait permettre à des populations, qui ne le pouvait pas auparavant, d’acheter et de s’installer dans la commune bruxelloise. « Nous ne sommes pas dans un phénomène de gentrification comme on peut voir à Paris ou dans d’autres quartiers de Bruxelles », explique l’échevin du logement. « Ce n’est pas une population qui chasse l’autre, mais des gens, avec un peu plus de moyens, qui achètent des maisons, les rénovent et viennent s’installer sur place », détaille-t-il.
Quid des entreprises ? Ni Karim Majoros ni Patrick Menache n’ont, pour l’heure, constaté de départs massifs des entreprises de Molenbeek. La commune de Bruxelles dispose de nombreux avantages et est attractive en termes de prix et de localisation géographique. Par ailleurs, l’activité entrepreneuriale molenbeekoise est en plein essor. Ibrahim, entrepreneur natif du quartier, est à l’initiative du salon « Molengeek » : le premier salon dédié à la création de startups dans la commune bruxelloise. Pour lui, la localité est un vivier d’entrepreneurs qui s’ignorent parfois. Le taux de création d’entreprises y est deux fois supérieur à la moyenne nationale. En raison des difficultés qu’ils rencontrent dans la recherche d’un emploi, les jeunes de la ville n’hésitent plus à se lancer dans la création d’entreprises.
Un « café/coworking », cet espace de travail d’un nouveau type que l’on retrouve désormais dans les quartiers branchés des grandes capitales, a même récemment ouvert ses portes au bord du canal. Avec ses lumières tamisées, ses enivrantes effluves de thés de tous horizons « Le Phare du Kanaal » guide désormais les freelancers de tout Bruxelles vers Molenbeek. Anna jeune expatriée française à l’origine de la création de cet espace n’est pas peu fière du climat cosmopolite qui caractérise désormais ce lieu.
Tous ces signes nous amènent à penser que les choses sont en train de bouger à Molenbeek. Cependant il est encore trop tôt pour parler de réel changement. Les attentats de novembre ont fortement écorné l’image déjà peu valorisante de cette commune. Il reste sans doute un peu de temps aux habitants avant de voir leur quartier devenir la mecque du cool bruxellois.
Kozi Pastakia et Abiola Ulrich Obaonrin