Pianofabriek. Saint-Gilles. Je suis assise sur un banc le long d’un mur et j’observe. La répétition commence dans 15 minutes. Coincée entre deux dames d’âge moyen qui discutent en anglais, une maman et ses deux enfants qui passent du néerlandais à l’arabe d’une phrase à l’autre, un couple de septuagénaires et une classe de 3e primaire, je suis déjà témoin de l’atmosphère multiculturelle dont le spectacle Mount Tackle a besoin pour éclore. Parce que oui, le but premier de l’artiste est de recréer un espace public au sein du théâtre où l’origine des spectateurs, leur âge, leur sexe ou encore leur classe sociale seraient les plus éclectiques possible.
Ces 3 et 4 décembre se tiendra en effet le spectacle Mount Tackle au Kaaitheater (Yser). A la tête de ce mouvement, il y a Heike Langsdorf, artiste belge reconnue ainsi que chercheuse et enseignante au KASK (Académie royale des beaux-arts de Gand). A ses côtés, j’ai eu la chance d’assister aux premières répétitions dans un centre culturel d’Ixelles. Immersion dans un spectacle unique qui se déroule en trois étapes.
Phase 1 : trajectoire de 60 minutes
Première surprise : nous ne regarderons pas ce spectacle assis sur une chaise. On entre dans un gymnase et on devient partie prenante du show. Si les adultes restent un peu en retrait pour observer la montagne de bouées géantes au centre de la pièce, les enfants, eux, plongent dedans. Dans cette installation, je vois une cabane à l’image de celle que l’on fait, gamin, dans son salon avec deux chaises, un drap et des coussins. J’apprendrai plus tard que ce n’est pas le cas de tout le monde.
Un murmure se répand : il y a des corps sous la structure. Ce sont les artistes, gisant les yeux clos, feignant la mort. Quelques adultes s’aventurent à leur tour pour voir le macabre spectacle de leurs propres yeux. Ils sont à la recherche d’une explication logique et n’hésitent pas à aller à la rencontre d’autres personnes pour débattre sur la signification de ce tableau.
Deuxième surprise : un bruit sourd et continu nous assaille et la lumière se met à vaciller. L’obscurité s’installe et le silence revient. On parle plus fort comme pour se rassurer. Éclair éblouissant. Une bouée s’illumine alors que d’autres se mettent à clignoter avant de se dégonfler les unes après les autres. La régie guette les réactions. Nous nous sommes tous spontanément réunis en petits groupes avec des inconnus pour témoigner de ce qui se joue devant nos yeux ensemble. Pour partager. Pour comprendre.
Phase 2 : un peu de danse
La performance de Heike, Lilia Mestre et Anna Luyten, les artistes/actrices, continue. Elles se sont levées et parcourent la salle, d’une démarche étrange. Les petits imitent, les grands observent, une fois de plus. Soudain une détonation. Sursaut de silence. La performance continue encore pendant une heure avec des climax divers et des moments de calme presque hypnotiques. Finalement, tout le monde se prête au jeu et s’investit de tout son cœur. La régie son et lumière rythmant l’expérience à elle toute seule ou presque.
Lilia s’improvise musicienne. Une ronde se forme autour d’elle. On tape du pied. On tape des mains, on danse. Les esprits échauffés se calment. Moment propice pour faire le point sur le spectacle radical auquel nous venons de prendre part : rencontre, confiance, spéculation et introspection. L’objectif est atteint : par notre simple présence, nous sommes devenus à la fois le sujet, le public et l’interprète. Au rythme de notre intuition nous avons interprété ce que nous avons vu. Grâce aux rencontres, en petits groupes, nous avons construit notre propre récit. Explication du théâtre qui se jouait devant nos yeux.
Phase 3 : une fin ouverte
Les lumières finissent par se rallumer. La parole est à nous. Chacun y va de son commentaire : « Il y avait eu un attentat… », « Non une épidémie, les gens étaient malades, on aurait dû les aider ! », « Peut-être que c’était un monde post-apocalyptique, avec des zombies ». Les spéculations vont bon train. Les artistes animent le débat et cherchent à savoir ce qu’on a ressenti et pensé. L’échange est très intéressant. Petits et grands partagent volontiers leurs arguments.
Finalement l’un d’entre nous saute le pas et demande : « Mais vous alors, qu’est-ce que vouliez nous dire ? Qu’est ce qui s’est passé ? » Heike sourit en coin. Un instant, je pense qu’elle ne répondra pas, mais elle brise le silence plein de suspense : « Tout ce que tu veux. Tu dois te faire une histoire toi-même ». Le mystère flotte toujours… Mais ce qui est sûr c’est que Mount Tackle n’a laissé personne indifférent.