À lire : Partie 1/2 – Le constat
C’est flagrant. Aujourd’hui et depuis de nombreuses années, ce sont en majorité les productions flamandes qui se chargent de représenter la Belgique à l’international. Le fait est que la Fédération Wallonie-Bruxelles est à la traîne. À qui la faute ? À tout le monde, ou à personne, c’est selon. Ce qui est sûr, c’est que notre beau pays fédéral a conduit à la création de deux scènes nationales, imperméables l’une par rapport à l’autre. Les artistes de la scène la plus dynamique ont donc plus de chances de nous représenter auprès des voisins. De quoi consterner les talents de la Fédération Wallonie-Bruxelles, qui sont peut-être nés du mauvais côté de la frontière linguistique.
Les causes à cibler pour faire le tour de la question sont nombreuses et interconnectées. Il apparaît que mettre en avant un responsable amène sur un suivant, et ainsi de suite. Jusqu’à revenir au point de départ. Nous avons rencontré Julien Fournier, de Wallonie-Bruxelles Musique et Damien Waselle, responsable du label [PIAS] Belgium, afin d’éclaircir la question.
Les quotas de diffusion
En Belgique, un pourcentage obligatoire d’œuvres dites « autochtones » est fixé pour la diffusion audiovisuelle. Grâce à cela, le pouvoir politique peut assurer à un certain nombre de productions une visibilité auprès de la population.
Ce qui différencie chacune des lignes de ce graphique est la volonté politique de chaque région à promouvoir ses productions propres. À titre indicatif, en France, le pourcentage est de 40 à 60%, dont 20% de nouvelles productions ou de découvertes. En Flandre, ce quota passe à 25%. En FWB, les médias ne sont que dans l’obligation de diffuser de 4,5 à 10% d’œuvres autochtones. Ce quota déjà très bas comporte une faille : « Une partie doit être en français et une autre doit être constituée de productions de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Mais il suffit que la structure ait son siège social en Belgique. Par exemple, si Universal Belgique signe un artiste étranger, le morceau sera quand même considéré comme une œuvre autochtone », explique Julien. Même si le principe des quotas est discutable, cela permet néanmoins de faire rentrer de l’argent dans les structures, et pourrait donc être utile à la relance de notre industrie musicale.
Les structures
Pour qu’un artiste puisse se développer au niveau international, il lui faut le soutien de structures : agences de booking, labels, clubs, festivals,… Ce sont notamment elles qui vont pouvoir le promouvoir auprès des programmateurs étrangers. « En Flandre, les structures sont meilleures. Ajoutez à cela qu’elles ont plus de moyens… Ce n’est pas un hasard si les groupes flamands montent plus rapidement. », confie Damien Waselle. Julien Fournier ajoute : « Si un organisateur étranger doit citer 10 personnes avec lesquelles il est en contact sur l’année, il va peut-être citer huit flamands et deux francophones. Cela représente bien la différence ».
Les médias
« J’ai l’impression qu’il y a un gros esprit de communauté d’intérêt en Flandre. Quand la scène sent qu’un artiste va fonctionner, tout le monde se met derrière lui. Il y aura la télé nationale et commerciale, la radio nationale et commerciale, les journaux, les magazines,… Ca forme un bloc. » explique Julien Fournier. Après divers recherches et entretiens, il apparaît que beaucoup d’acteurs du milieu considèrent que les médias francophones, et notamment la RTBF, ne remplissent pas leur rôle de« découvreurs de talents », en tant que service public. Il est vrai que certaines émissions existent encore (comme D6bels on stage), mais la tendance est de privilégier les stars internationales et les émissions de divertissement, comme The Voice, qui ne reste qu’un jeu. « Cela amène certains artistes francophones à avoir l’impression qu’il leur faut être reconnu à l’étranger avant de pouvoir revenir et réussir en FWB », confirme Julien. En FWB, la France s’impose comme premier marché d’importation et d’exportation. « Il arrive que certains bons artistes signent avec des Français. La France est attirante car leurs structures sont plus développées. Mais si ils signent en France, ils ne rapporteront toujours pas d’argent chez nous ». Tout stagne, donc…
Les moyens
Il ne sera pas question ici de capacité financière, mais bien de répartition des moyens. Il apparaît que les deux communautés ont une vision différente quant à l’attribution des subventions publiques. Julien Fournier l’explique : « En Flandre, ils ont tendance à choisir des champions et à leur donner plein d’argent. Par contre, une fois que t’es plus dans les critères, tu peux ne plus rien recevoir du jour au lendemain. C’est très anglo-saxon dans l’idée. En FWB, on est plus dans la diversité. Donc on va donner un peu, à beaucoup de monde. On a peut-être plus de difficulté à couper les vivres à une structure qui ne répondrait plus à un certains nombres de critères. La gestion flamande est plus violente, mais la question de l’efficacité se pose ». Damien Waselle rejoint cette idée : « En effet, je ne pense pas que ce soit un problème de moyens. Les moyens suivront après.»
Le facteur culturel
Pour Julien et Damien, comme pour d’autres, la véritable clé se trouve peut-être dans le fait que les francophones ne seraient pas suffisamment fiers de ce qu’ils produisent. « Il est en tout cas certain que les flamands portent plus d’intérêt à leurs créations », explique Damien. Sans pouvoir trancher, il est important d’en prendre conscience. La chaîne de promotion ne pourrait que mieux s’en porter. Il y aurait plus de public, donc plus de salles, plus de couverture médiatique et de diffusion radio. Nous pourrions en déduire que la qualité des productions augmenterait et amènerait de plus en plus de public à suivre les artistes de FWB.
Faut-il intéresser le public pour qu’il soit curieux ?
Cependant, le public francophone manque-t-il naturellement de curiosité ? Ou au contraire n’est-il pas suffisamment intéressé par le discours des médias ? Cette question peut être longuement débattue. Il est toutefois compliqué de penser que le problème serait avant tout culturel. C’est du moins difficile à accepter, à moins qu’une véritable étude sociologique ne prouve le contraire. Par conséquent, l’intérêt du public devrait plutôt être considérée comme une arme. Arme qui permettrait d’ébranler ce système aujourd’hui paralysé. En portant un intérêt accru à nos productions, peut-être détiendrons-nous la clé. Prendre conscience de notre pouvoir est en tout cas un grand pas en avant. La Fédération Wallonie-Bruxelles ne peut être caractérisée par un désintérêt constitutif par rapport à ses propres productions. Ce genre de pensée n’est en tout cas pas forcément salutaire dans la gestion et la résolution du problème.
En attendant le nouveau Stromae…
Bien entendu, d’autres facteurs entrent en jeu, comme la maîtrise de la langue anglaise, les influences des cultures étrangères ou la différence de moyens. Ce qu’il faut, c’est ouvrir les yeux sur certaines réalités du terrain. La Fédération Wallonie-Bruxelles doit certainement revoir sa politique culturelle et, si elle ne le fait pas toute seule, c’est à la population à l’y pousser.