Je suis une jeune marocaine, fière de mon beau pays où tout le monde profite de la vie et du soleil. Fière d’y voir des touristes affluer chaque année pour découvrir les sites historiques. Fière encore d’être élevée dans une culture marocaine qui a su conjuguer modernité et tradition.
Mais j’ai honte de constater que mon pays est aussi l’une des principales destinations au monde en matière de tourisme sexuel.
Depuis presque une semaine, on entend partout parler du nouveau film choc de Nabil Ayouch, « Much Loved » ou « Zin Li Fik ». Ce film qui touche l’image du pays. Ce film qui, selon le gouvernement marocain, « comporte un outrage grave aux valeurs morales et à la femme marocaine ».
J’aimerais bien y croire. J’aimerais dire que le film ne reflète certainement pas la réalité du royaume, et que nous devons tous nous mobiliser pour lutter contre ces mensonges et ces accusations. J’aimerais aussi, que tout cela ne soit qu’un cauchemar, que toutes les enquêtes sur la prostitution ne soient que des mensonges pour salir l’image de mon Maroc bien aimé.
Mais réveillons-nous, interdire ce film ne changera rien dans notre royaume. Comme on dit, on peut taire une réalité, mais jamais l’étouffer !
Où se situe l’outrage ?
Se contenter de dire que ce film constitue un « outrage grave aux valeurs morales et à la femme marocaine » occulte la réalité. Cela empêche les citoyens de regarder en face les problèmes de prostitution qui sévissent dans une partie du pays.
Ce qui devrait nous choquer par contre, c’est plutôt ce qui se passe dans les rues, dans les quartiers populaires, où les femmes vendent leurs corps pour faire vivre leurs familles. C’est bien cela le plus choquant. Ce sont ces petites filles qui ont préféré le suicide que d’avoir à épouser leurs violeurs, ces mamans qui vendent leurs jeunes filles et garçons pour faire vivre le reste de la famille, ces harcèlements sexuels que l’on tolère chaque jour et que notre société justifie par « les tenues trop courtes » des filles. C’est plutôt ça qu’on devrait traiter d’outrage grave.
Qui d’entre nous n’a jamais croisé des prostitués dans les rues du Maroc ? Ou de jeunes mendiants qui se font manipuler pour de l’argent ? Pour le constater, il vous suffit de vous promener, en soirée, sur la place la plus célèbre de Marrakech : Jamaa al-Fna. Et il ne faut pas chercher longtemps pour retrouver la trace des prostitués, que vous soyez à Rabat, Agadir, Tanger ou encore Casablanca. J’aimerais tant me tromper, mais ce serait fuir cette maudite réalité.
L’intention de Nabil Ayouch n’était pas de blesser la femme marocaine ou de salir l’image de notre pays. Bien au contraire, son œuvre veut dénoncer, changer le regard sur ces prostitués qui se battent de toutes leurs forces pour vivre, combattre les aprioris.
Cher gouvernement, censurer le film avant même sa sortie, ou même avant que le réalisateur ne demande le visa de l’exploitation, est… un outrage grave ! La décision de votre ministère de la Communication est tout simplement illégale. Elle ne respecte pas l’article 25 de la constitution, selon lequel “sont garanties les libertés de pensée, d’opinion et d’expression sous toutes ses formes. Sont garanties les libertés de création, de publication et d’exposition en matière littéraire et artistique et de recherche scientifique et technique.”
En fin de compte, le film ne fait que raconter une facette, même désagréable, de la réalité. Pourquoi donc le censurer ? Nous, Marocains, comme les autres citoyens du monde, avons le droit de voir ce film, d’en être choqué, de le juger, de l’aimer ou de ne pas l’apprécier.