Les événements du mardi 15 mars à Forest ont été largement relayés par les médias. Ceux-ci n’ont pas hésité à informer en continu grâce, entre autres, à des éditions spéciales. Mais ces dispositifs étaient-ils nécessaires ? Rencontre avec Philippe Marion, professeur à l’Ecole de Journalisme de Louvain (UCL).
Qu’avez vous pensé de la couverture médiatique des événements de Forest ?
Il y a eu un mouvement paradoxal. On a fait un grand tapage médiatique pour très peu d’informations. Les éditions spéciales n’étaient pas vraiment justifiées. Ce qui m’a marqué, c’est l’utilisation excessive d’experts. On fait intervenir des gens qui n’ont pas plus d’information que les autres.
Il y a une réelle angoisse populaire par rapport au djihad qui amène à un besoin d’informations. On s’adapte à la demande des consommateurs. C’est lié à l’affectif : on a besoin d’être rassuré. C’est pour ça que, presque systématiquement, il y a une interview de quelqu’un qui dit qu’il va “continuer à vivre”. Les médias auraient pu être plus sobres, mais ils sont dans une situation de concurrence. Ils ne pouvaient pas laisser passer cette information.
Vous avez dit que les émissions tournaient à vide. Comment font les journalistes pour garder l’attention des téléspectateurs ?
Il y a deux techniques. La première consiste à faire de l’ambiance, révéler la périphérie. On donne l’illusion aux gens qu’ils sont proches en faisant un état des lieux. On est dans une situation d’attente, mais d’attente vécue. La seconde, c’est de donner des informations récapitulatives. On fait des rappels sur d’autres événements qui sont liés. Dans ce cas-ci, on peut faire un rappel des évènements de Paris par exemple.
Lors du lockdown au mois de novembre, les journalistes belges n’avaient pas diffusé certaines informations pour ne pas nuire aux opérations policières. Des journalistes français ont estimé, lors des Assises du journalisme, qu’ils n’auraient probablement pas respecté ces consignes. Qu’est-ce qui explique ces réactions différentes ?
La culture de l’information est différente dans les deux pays. En France, le traumatisme était tellement fort que la presse a pris le dessus. La quête de l’information est mieux tolérée en France pour cette raison. En Belgique, on n’a pas eu un tel traumatisme. Les journalistes belges ont compris que les besoins de l’enquête étaient supérieurs au droit à l’information dans ce contexte. Informer, c’était courir le risque de laisser échapper un suspect.
L’application Periscope a permis de suivre la perquisition à Forest grâce à des témoins présents sur place. Comment les journalistes vont réagir face à ce nouveau moyen d’informer ?
D’après moi, cette application va encore se développer. Les journalistes n’auront pas d’autre choix que de l’intégrer. Ça va également rendre leur rôle de gatekeeper encore plus important. La quantité d’informations rendue disponible par cette application peut amener à des dérives. Les journalistes devront alors permettre aux lecteurs de faire le tri grâce à leur utilisation judicieuse de Périscope.
Focus sur l’application Periscope
Depuis mars 2015, Twitter a lancé Periscope : une application qui permet de retransmettre d’un smartphone, en direct et en streaming, des vidéos. Une fois le court film posté, il est disponible pendant 24h et visible par l’ensemble de la toile. Cette semaine, la perquisition à Forest a été filmée par plusieurs témoins et directement mise sur Periscope. Damien Van Achter, journaliste, spécialiste du numérique et professeur invité à l’IHECS, explique que ce type d’outils « donne la possibilité aux gens de s’exprimer. Ça leur permet de créer des liens. C’est le journalisme citoyen : aujourd’hui, la population est sur place avant le journaliste. N’importe qui est média ».
Beaucoup se questionnent sur les déviances d’un tel outil. Par exemple, un prisonnier a posté une vidéo de lui, un joint à la main. Il se félicite de réussir à obtenir tout ce qu’il désire en prison. D’autres ont filmé leur cambriolage dans un gymnase. Comme chaque application, certaines personnes l’utilisent dans un objectif discutable. Alors, comment serait-il possible de contrôler un tel outil des probables dérives ? Selon Damien Van Achter, il ne faut pas forcément que l’on puisse le maîtriser. « Nous sommes dans un Etat de droit. » Si une vidéo est contraire à loi, la justice interviendra.
Très bon sujet. Et interlocuteur bien choisi. Bravo.