Le World Press Photo, organisme néerlandais qui tente de promouvoir le photojournalisme à travers le monde, était de passage dans les locaux de l’IHECS pour une exposition consacrée à la profession. Chaque année, près de 85 000 photos sont envoyées pour le concours annuel qui récompense les meilleurs clichés dans différentes catégories.
À cette occasion, nous avons rencontré les photojournalistes Bruno Stevens et Mashid Mohadjerin, ainsi que la responsable de la communication et des projets du World Press Photo, Barbara Bufkens. Tous trois nous livrent leurs impressions sur l’évolution du photojournalisme et l’avenir de la profession.
Le photojournalisme en crise
Après 40 ans de voyages aux quatre coins du monde, Bruno Stevens, photojournaliste et ancien photographe de guerre, évoque les changements au sein de la profession depuis le début de sa carrière : “Il y a 15 ans, quand il se passait quelque chose quelque-part, on était envoyé sur place par notre commanditaire et on recevait de l’argent pour cela. Maintenant, les jeunes photojournalistes y vont à leurs frais, en prenant des risques parfois inconsidérés, sans certitude d’être finalement payés…”
Selon lui, la publicité a joué un rôle important dans les récentes mutations du métier : “Il y a un problème avec les groupes de médias qui contrôlent tout et qui fonctionnent grâce à la publicité. Le contenu n’a plus d’importance primordiale. La solution serait de créer plus de médias indépendants, mais il faut alors se poser la question de comment les financer…”.
Face à cette crise, de nouvelles approches voient le jour. “C’est une situation qui peut être difficile financièrement, mais en même temps, cela ouvre des possibilités. On voit de plus en plus de créativité et d’approches différentes, comme par exemple le crowdfunding” réagit Barbara Bufkens.
La question de l’immédiateté et de la culture de l’urgence est aussi un problème qui s’accentue avec les années, selon Bruno Stevens. “Aujourd’hui, il faut avoir l’image tout de suite et cela n’a aucun intérêt car l’image d’avant-hier est peut-être plus métaphorique.”
Forte de 12 ans de métiers, Mashid Mohadjerin apporte un point de vue plus nuancé sur l’état du photojournalisme actuel. Ce qu’elle considère davantage comme « une évolution de la profession » que comme une véritable crise, se caractérise surtout par l’apparition de nouveaux talents propulsés par les nouvelles facilités techniques. « Il n’y a jamais eu autant de si bons photojournalistes et de si bonnes images de manière aussi accessible. Le défi de notre époque est de réussir à filtrer la masse immense d’images qui arrivent constamment » se réjouit-elle.
Le scandale de la photo falsifiée
Giovanni Troilo a defrayé la chronique l’an passé avec son travail sur la ville de Charleroi, qui a été primé par le World Press Photo avant que l’organisme ne décide finalement d’annuler la récompense. C’est suite à l’investigation de différents photojournalistes (dont fait partie Bruno Stevens), qu’il a été révélé que le travail était en fait une mise en oeuvre complète de l’auteur, une pratique qui est contraire aux règles éthiques du photojournalisme. Le World Press Photo a quant à lui estimé que la série de clichés n’était “pas conforme aux règles” et que “le prix devait donc être retiré”.
Questionnée sur l’utilisation de retouches dans ses travaux, Mashid Mohadjerin est inflexible : « À partir du moment où je présente mes photos comme étant la réalité, il n’est pas question d’y retoucher. C’est une question de fidélité et d’honnêteté. » Si, pour elle, les travaux légers de correction de couleurs peuvent être admis, la limite est franchie au moment où la réalité est trafiquée.
Le WPP s’ouvre aux images retravaillées
Un nouveau concours nommé Creative Documentary, créé suite aux photographies contestées de Giovanni Troilo, intègrera désormais la possibilité de “retravailler” les photographies. Barbara Bufkens nous détaille la volonté de WPP de “bouger avec le monde” en intégrant également dans le concours des formes différentes de la photographie.
Pour B. Stevens, ce nouveau concours est une aberration : “Pour moi, c’est très grave car ce n’est pas leur rôle. Le World Press est un prix de journalisme, qui vise à promouvoir un journalisme de qualité. Ce n’est pas un concours de photo. C’est grave car c’est renier tout l’héritage de 70 ans de travail extraordinaire.”
Si le World Press Photo a de nombreux détracteurs, tous les photojournalistes ne sont pas aussi critiques envers l’institution. Mashid Mohadjerin, la lauréate 2009 de la section question contemporaine du WPP, met en perspective le travail du World Press Photo. « En tant qu’institution professionnelle, c’est leur devoir de vérifier attentivement que les photos ne sont pas retouchées. Mais ils reçoivent tant de photos chaque année que ce travail de vérification devient titanesque. Toutefois, il est vrai que les photos récompensées doivent être réexaminées attentivement ».
La photojournaliste d’origine iranienne sillonne les continents depuis une dizaine d’années et a collaboré avec de nombreux médias, du New York Times au Monde en passant par le Wall Street Journal. Focalisée sur son travail, elle préfère rester le plus possible à l’écart des débats sur la légitimité du World Press Photo. « Chaque organisation a son rôle et fait sa part du travail. C’est facile de les attaquer sur leurs lacunes, mais au final, cela fait plus de 25 ans que le WPP supporte la photographie dans le monde et pour moi c’est ce qui compte le plus ».