Une ambiance étrangement calme règne aux environs de onze heures sur la capitale. Comme le calme avant la tempête.
Le ton était donné dès la veille. La police avait annoncé la tolérance zéro pour ceux qui voudraient se rendre à la capitale pour manifester. Promesse tenue de la part des forces de l’ordre : un dispositif musclé a été installé aux alentours des institutions européennes, fédérales et régionales. Dès le samedi matin, des fouilles sont organisées pour chaque personne qui descend des trains aux gares Bruxelles-Central et Bruxelles-Schuman.
Les fourgons roulent à toute vitesse sur les avenues désertes, on peut sentir la tension monter dans la capitale, aux bruits des hélicoptères, les manifestations se rapprochent.
“On montre nous-même ce qu’il se passe, on montre la vérité, parce que ce ne sont pas les médias qui le feront“
Une poignée de minutes avant midi, le carrefour Arts-Loi résonne aux chants et aux cris des trois principaux groupes de manifestants qui s’y rejoignent. On peut entendre le bruit de la foule qui remonte la rue de la Loi, et les pétards détonner depuis Madou, où deux groupes importants se sont retrouvés. Les minutes semblent historiques. Nombreux manifestants sortent leur smartphone pour diffuser l’événement en live sur les réseaux sociaux. Certains commentent : “On montre nous-même ce qu’il se passe, on montre la vérité, parce que ce ne sont pas les médias qui le feront“. Le mouvement, qui compte désormais un millier de personnes, se dirige sur la petite ceinture pour un blocage pacifiste de la circulation.
Pris en tenaille
Arrivés au tunnel Belliard, les choses se corsent. Le mouvement monte au dessus du tunnel pour se retrouver au croisement de la rue Belliard, de la rue du Lambermont et du Boulevard du Régent. La mâchoire policière se met alors en place. Très vite, la foule comprend. “On est faits comme des rats“, disent certains. “C’est fini, on est fichus“, affirment d’autres. En effet, dans chaque rue reliée au carrefour, un dispositif important de forces de l’ordre est mis en place. Où que le cortège aille, il se retrouvera face à plusieurs rangées de policiers anti-émeutes et d’auto-pompes. Le groupe a le sentiment d’être pris au piège. La tension monte de plusieurs crans brusquement et les premiers affrontements entre manifestants et policiers ont lieu.
La lutte ou la résignation
Cadenassé au fur et à mesure par les avancées policières, le mouvement (qui ne bouge d’ailleurs plus), éclate en deux attitudes distinctes : la lutte ou la résignation. Alors que certains continuent à se battre avec les forces de l’ordre, principalement du côté rue du Lambermont, d’autres refusent la violence, s’assoient face aux dispositifs, dialoguent… Pour la première et unique fois, le mouvement se désaccorde.
Diviser pour mieux régner
La foule devient de plus en plus compacte et les charges deviennent aussi violentes que fréquentes, de la part des policiers comme des Gilets Jaunes. Sur le Boulevard du Régent, le barrage cède. Encore une fois, les manifestants tombent dans le piège et, au milieu de gaz lacrymogènes et des pétards, s’engouffrent dans la brèche ouverte par la police. Quelques minutes plus tard, le mouvement comprend qu’il s’agissait d’une tactique des forces de l’ordre : diviser pour mieux régner. Les 500 personnes qui ont échappé à la nasse sont aussitôt encadrées par la police. Le nouveau groupe est escorté sous haute sécurité vers la place Madou et descend vers le centre-ville. Quant à ceux restés sur le carreau, c’est une attente longue de plusieurs heures qui commence.
La bonne humeur comme seule arme
Plusieurs heures, debout, sous la pluie. “L’assaut du Boulevard du Régent” a eu lieu aux environs de treize heures. Depuis cet événement, la manifestation a changé de visage, comme si ceux qui la composaient s’étaient résignés à la défaite, dans l’attente de la sanction à tomber. Dès 14 heures 30, la police extrait des manifestants au hasard, quinze par quinze, leur attache les mains dans le dos (sans distinction d’âge, ni de profil), puis les installe dans un bus. Ceux qui restent dans la nasse s’inquiètent. Les incertitudes grandissent et pourtant, petit à petit, des chants, des danses, des mouvements de solidarité collective refont surface, comme si la bonne humeur était la seule arme disponible pour lutter contre la météo, l’attente et la police.
Vandersmissen joue la provoc’
Alors qu’une relation apaisée entre policiers et Gilets Jaunes s’installe, elle est régulièrement cassée par le commissaire Vandersmissen. Le chef de la zone de police Bruxelles – Ixelles s’amuse de petits bains de foules pour distiller des phrases chocs. Les meilleures d’entre elles : ” Tous les manifestants pacifistes sont sortis ? Il ne reste donc plus que les casseurs à embarquer ?!” ou encore “Qui veut se faire arrêter pacifiquement ?“. Plus provoquant encore : “Vous ne voulez pas vous faire arrêter ? Alors vous allez recevoir sur votre gueule !“. Le comportement du commissaire Vandersmissen est jugé inutile et puéril par les plusieurs Gilets jaunes autour de nous, venus manifester pacifiquement.
Revenir plus forts
L’obscurité tombe au même moment que la pluie. Avec elle, la bonne humeur générale retombe. Les forces de l’ordre reçoivent pour consigne de faire sortir chaque manifestant un par un, en prenant une photo de chaque carte d’identité et de chaque personne, tout en confisquant tous les gilets jaunes. Trempés, usés et fatigués, les Gilets Jaunes sont harassés. Mais ils se promettent de revenir encore plus forts, plus nombreux et plus organisés samedi prochain.