L’European Movement International (EMI) organisait jeudi 18 février une conférence-débat sur la situation politique en Pologne, suite à la montée au pouvoir, en 2015, du parti Droit et Justice (PiS). Le parti conservateur fondé par les frères Kaczynski a beaucoup fait parler de lui, notamment après la modification de plusieurs lois en matière de justice mais surtout suite à son intervention dans l’organisation des médias polonais.
C’est en tant que membre du parti Plateforme Civique et en sa qualité d’ancien conseiller économique du Président lituanien Valdas Adamkus, que Marcin Swiecicki répond aux questions du Bruxelles Bondy Blog.
Aux dernières élections législatives, les Polonais ont plébiscité un parti plutôt eurosceptique, le parti Droit et Justice (PiS). Auparavant, la majorité était détenue par le parti Plateforme Civique, un parti europhile. Comment expliquez-vous ce revirement politique ?
Vous savez, PiS n’est pas aussi eurosceptique que certains autres partis politiques européens. Ils sont en faveur du maintien de la Pologne dans l’Union européenne, mais voudraient limiter l’intégration du pays au sein de l’Union. Ils sont davantage en faveur d’une Europe de nations, où chaque Etat membre est un état souverain. Ils veulent rester dans l’UE, notamment parce que la Pologne bénéficie de fonds mais aussi en raison de son appartenance à la zone Schengen.
Jusqu’en juin prochain, la question du Brexit va être au centre de nombreuses discussions. Si le Royaume-Uni venait à quitter l’UE, qu’adviendrait-il de la Pologne ? Pourrait-elle suivre cette voie ?
Non. Evidemment, je ne partage pas l’avis du parti au pouvoir en Pologne. PiS voudrait éloigner la Pologne de ce qu’ils appellent l’Europe mainstream, à savoir se distancier de pays comme la France ou l’Allemagne. Ce ne serait pas raisonnable, surtout avec Poutine de l’autre côté de la frontière. Par exemple, si nous voulons aider l’Ukraine, nous pouvons le faire avec l’aide de cette Europe mainstream. Ce ne serait pas possible avec [des pays comme la Hongrie et] Viktor Orban, qui est un ami de Poutine. Sortir de l’Europe n’est pas du tout à l’ordre du jour. Peu importe ce qui sera décidé au Royaume-Uni.
Êtes-vous d’accord avec l’affirmation suivante : « interférer dans la gestion des médias est une menace pour leur indépendance et la démocratie » ?
Oui je suis tout à fait d’accord. Aujourd’hui, le problème en Pologne se pose au niveau des médias publics. Ils sont toujours puissants, en particulier la radio et la télévision, mais ils sont devenus des médias d’Etat, des médias au service d’un parti. Ils prétendent offrir une couverture indépendante de l’actualité, offrir un droit de réponse à l’opposition mais la sélection des sujets suit une ligne éditoriale pro-gouvernementale.
En observant la situation aujourd’hui en Pologne, comment imaginez-vous le pays dans quelques années ?
Nous [le parti Plateforme Civique, ndlr] comptons les jours et les mois jusqu’aux prochaines élections, dans trois ans et huit mois. Ce ne sera pas facile, mais j’espère que le parti Droit et Justice perdra la majorité aux prochains scrutins. Aujourd’hui, ils font preuve d’une sorte de corruption économique. Ils ont fait de nombreuses promesses dont celle de baisser l’âge de la retraite. Cela aura des conséquences dans dix ou vingt ans, pas tout de suite. C’est dangereux pour l’économie car ils risquent d’augmenter la dette nationale. Mais c’est une façon de récolter des voix aux prochaines élections.
Vous avez mentionné la corruption. Concrètement, qu’entendez-vous par là ?
Il s’agit de corruption politique, économique. PiS fait de nombreuses dépenses qui génèrent des bénéfices aujourd’hui mais qui auront un coût pour les prochaines générations. Un coût sur la dette polonaise. Un coût sur l’investissement. Si vous consommez plus, vous investissez moins. Leur politique fonctionne sur le court terme. Cela pourrait jouer en leur faveur au regard des prochaines élections. C’est pour cela que je parle de corruption économique, de corruption politique. Je ne parle pas de corruption d’individus mais d’une politique d’Etat qui vise à acheter des votes, en quelque sorte. Cela grâce à des dépenses d’argent que le pays n’a pas, de l’argent qu’il faut donc emprunter.
Vous avez été conseiller économique du Président lituanien Valdas Adamkus. Vous êtes donc familier de l’actualité lituanienne. L’année dernière, le pays a mis en place des mesures contre une supposée menace d’invasion russe en rétablissant le service militaire obligatoire et en distribuant des manuels de survie dans les écoles.
Qu’en pensez-vous ?
Ce n’est pas surprenant qu’ils prennent de telles mesures après l’invasion de la Géorgie, de la Crimée, plus largement de l’Ukraine, du maintien de leurs forces en Moldavie… Les Pays Baltes pourraient être la prochaine cible [de la Russie], c’est pourquoi ils doivent être mieux préparés que ne l’était l’Ukraine.
L’Estonie, la Lettonie et la Lituanie, comme la Pologne, sont membres de l’Union européenne et de l’OTAN (Organisation du Traité de l’Atlantique Nord). Selon ses principes, attaquer un des membres de l’alliance représenterait une agression sur l’ensemble de celle-ci. Pensez-vous que le président russe, Vladimir Poutine, oserait attaquer les Pays Baltes ou y réclamer des territoires ?
En 1994, dans les accords de Budapest, l’Ukraine avait reçu des garanties [de l’OTAN] en contrepartie de l’abandon de l’arme nucléaire. Les Etats-Unis, le Royaume-Uni et la Russie s’étaient engagés à préserver l’intégrité du territoire ukrainien. Et regardez ce qu’il s’y est passé malgré ces promesses. La population russophone est très présente [dans les Pays Baltes], surtout en Lettonie et en Estonie. La Russie y tient un discours de protection de ses frères. Le risque de troubles ou d’occupation n’est pas exclu. Pas nécessairement une invasion ouverte, [terrestre, ndlr], mais plutôt une incursion progressive. On peut citer l’exemple des Little Green Men [les petits hommes verts, surnom donné aux soldats présumés de l’armée russe en Ukraine, ndlr] qui sont apparus en Crimée. On peut parler de guerre hybride, de softwar. Avec les ambitions impérialistes de la Russie, il faut être prudent. Elle pourrait tester l’article 5 [du Traité de Washington instituant l’OTAN, ndlr], pour déterminer à quel moment et comment répondrait l’OTAN en cas de semi-agression. On peut s’attendre à tout après ce qui est arrivé [en Ukraine].
En Pologne, des groupes paramilitaires se développent. Ils s’entraînent pour contrer une menace qui reste très conditionnelle. Qu’en est-il de la peur russe en Pologne ?
Le nouveau gouvernement supporte ce genre d’initiatives mais ce n’est pas si répandu. Ce sur quoi la Pologne se focalise, c’est la défense. Avec les Pays Baltes, nous sommes les pays les plus menacés par une invasion potentielle. Ce que nous voulons, c’est la mise en place de bases de l’OTAN en Pologne, en déplaçant celles [qui se trouvent en Allemagne, ndlr] vers l’est de la Pologne. Pourquoi garder les bases de l’OTAN en Allemagne quand la Pologne et les Pays Baltes, des membres de l’Alliance, sont davantage menacés par une agression potentielle ? Ce sera l’objet du sommet de l’OTAN à Varsovie [en juillet prochain, ndlr]. Il devrait y avoir des progrès en termes de sécurité. Mettre en place des bases de l’OTAN sur le territoire polonais représente une garantie clé pour notre défense.
ARTICLE 5 : Les parties conviennent qu’une attaque armée contre l’une ou plusieurs d’entre elles survenant en Europe ou en Amérique du Nord sera considérée comme une attaque dirigée contre toutes les parties, et en conséquence elles conviennent que, si une telle attaque se produit, chacune d’elles, dans l’exercice du droit de légitime défense, individuelle ou collective, reconnu par l’article 51 de la Charte des Nations Unies, assistera la partie ou les parties ainsi attaquées en prenant aussitôt, individuellement et d’accord avec les autres parties, telle action qu’elle jugera nécessaire, y compris l’emploi de la force armée, pour rétablir et assurer la sécurité dans la région de l’Atlantique Nord.
Source : texte du Traité de l’Atlantique Nord.
Interview traduite de l’anglais.