Le Maroc regorge de talents artistiques. Et le rap n’est pas en reste, avec une production riche et diversifiée, qui séduit la jeunesse du pays. Tous ont l’envie de développer une vraie identité marocaine à travers ce style musical. Mais le chemin est long. En nous intéressant à ce sujet depuis Rabat, où notre rédaction s’est installée le temps d’un échange entre étudiants belges et marocains, nous avons constaté qu’il n’y a que très peu de structures au Maroc pour encadrer les rappeurs et les aider à se professionnaliser.
Direction “Agdal”, un quartier discret en plein centre de Rabat. Nous sommes à l’entrée des studio de Hit Radio, une chaîne destinée aux jeunes et très connue au Maroc. Nous sommes ici pour interroger l’équipe de programmation et d’animation afin de les questionner sur la place du rap au sein d’une radio populaire.
Appréciée pour sa proximité avec les auditeurs, Hit Radio est aussi la première station à s’adresser à eux en « frandarija », un mélange de français et de darija, le parler marocain. Tout comme en Belgique, la chaîne accorde de l’importance aux réseaux sociaux pour renforcer sa relation avec le public. Une liberté de parole, peu présente auparavant, se développe doucement. Depuis 2006, les ondes se sont libéralisées et les radios privées se sont multipliées.
Malgré cette ouverture, certaines cultures musicales n’ont pas encore leur place au sein des médias. Selon les statistiques sur lesquelles se base Ayoub, le programmateur, seulement 20% des auditeurs apprécient le rap. C’est comme cela que la chaine Hit Radio justifie le fait qu’elle ne diffuse pas ce genre de musique. Youssef, le rédacteur en chef, affirme qu’il ne boycotte pas les rappeurs. Selon lui, ces derniers ne reflètent simplement pas les attentes du public cible des radios commerciales. Seuls des dj invités, en soirée, se permettent de mixer du rap.
Un rap marocain à du 140 Km/h
Si les radios commerciales diffusent peu de rap, il y a néanmoins une masse énorme de rappeurs actifs au Maroc. C’est un milieu qui bouge. Le vrai problème est le manque de connexion entre l’univers du web, lieu où l’on retrouve ces rappeurs et leur jeune public, et les médias traditionnels.
« Il y a une absence totale de la culture rap à la radio », affirme Moby Dick. Rappeur depuis plus de dix ans, il est une figure engagée et emblématique au Maroc. « La radio fait en sorte que cet univers du rap n’existe pas car il bouleverse les mœurs. Elle reste dans un schéma très conservateur et n’ose pas laisser place aux changements apportés par la nouvelle génération. Pourtant, celle-ci possède une réelle fibre de création », continue l’artiste.
Contrairement à Moby Dick, déjà célèbre au Maroc, Jas est arrivée récemment sur la scène du rap. A 19 ans, elle impose un style essentiellement en anglais, avec des punchlines fortes. Pas facile pour une fille de se faire une place dans cet univers musical. De plus, elle rencontre les mêmes obstacles que son ainé. « Notre pays est musulman et le rap n’y a pas sa place », explique Jas. En effet, le rap est encore considéré par certains comme une sous-culture. Selon son agent, la rappeuse a la rage de sa jeunesse. Elle se démarque par son assurance et son envie de percer dans le domaine. Elle croit en elle et ne veut pas se plier aux codes de la radio. « Pour avoir le support des médias, tu dois te conformer à leurs attentes. Tu n’auras pas leur soutien si tu produis un morceau un peu controversé », évoque la rappeuse. Heureusement pour elle, Jas est épaulée par sa famille, son agent et d’autres rappeurs plus expérimentés.
« Le public est prêt, mais la scène rap ne l’est pas » (Medhi Ayache, directeur de La Cage)
Si Jas est bien entourée, il y a encore une grande part de rappeurs amateurs en mal d’encadrement. D’après Mehdi Ayache, directeur de la boite de production musicale La Cage, beaucoup de jeunes rappeurs s’auto-produisent. Ils finissent donc par chercher le buzz, parfois au détriment d’un message authentique. « Il faudrait que ces artistes aient des valeurs, une vraie signature et soient engagés. Ils doivent se professionnaliser. Le public est prêt, mais la scène rap ne l’est pas ». Il prend pour exemple les nombreux retards des rappeurs lors de leurs apparitions publiques.
Pour donner une impulsion positive à la culture du rap au Maroc, Mehdi travaille sur un projet de promotion du rap, « ShowCage Africa ». Le Maroc sera le pays hôte de cette première expérience. « Durant sept jours en résidence, un rappeur marocain et un rappeur invité d’un pays d’Afrique subsaharienne se réuniront pour créer un titre commun », explique le jeune directeur. Cette démarche se répètera ensuite dans onze pays différents en Afrique. « Cela va permettre aux rappeurs de collaborer, mais aussi de travailler avec de bons producteurs étrangers, qu’ils rencontreront à la façon d’un Speed Dating ». Le but ultime de sa démarche est de faire connaitre les rappeurs africains, et spécifiquement les marocains. Et de conclure : « J’aimerais que le rap marocain devienne une vraie culture au même titre que le rap français et américain ».