Mardi 18h00. Avenue Stalingrad dans le centre de Bruxelles, où la population originaire du monde arabe est importante. Deux femmes ont décidé d’investir ces cafés pour casser les a priori et dépasser les tabous quant à ces lieux traditionnellement fréquentés par des hommes. Des clients sont attablés sur la terrasse d’un café, emmitouflés dans leurs manteaux tandis que deux hommes discutent debout devant l’entrée, cigarette à la main. Par galanterie, l’un d’eux ouvre la porte aux deux femmes venues boire un verre. Une fois à l’intérieur, les visages étonnés des clients se tournent instantanément vers ces deux jeunes femmes et les suivent longuement du regard. Une fois installées, l’une d’elles commande un thé à la menthe, alors que l’autre prend un café au lait.
Le décor est plus proche de celui d’une cafétéria que d’un café. Sur le comptoir se trouvent des pâtisseries orientales. Les murs sont tapissés de miroirs. Sobre et fonctionnel. La télévision trône dans un coin de la pièce où sont diffusées en sourdine les informations en arabe. Quelques hommes continuent de les observer en biais, d’autres les regardent franchement intrigués. Le sentiment d’être des intruses commence à habiter les deux femmes. Il y a comme un « elles » et un « eux » qui sépare, qui différencie. Après une quinzaine de minutes pourtant, plus aucun client ne fait attention à elles. Ils sont à nouveau lancés dans leurs discussions, jouent aux cartes ou sont occupés sur leurs téléphones portables. Ils oublient leur présence, et elles leur malaise.
L’occasion pour les jeunes femmes d’aller poser des questions au serveur, Mohamed El Bouchtili quant au fait de ne trouver aucune autre femme en ces lieux. Il explique : « Les femmes peuvent venir, bien sûr et ça arrive quelques fois, sauf que généralement elles ne se sentent pas à l’aise à cause de l’ambiance bruyante qui règne dans le café. Regardez autour de vous, ici tout le monde joue aux cartes ou bien regarde des matchs de foot. » Et d’ajouter : « La plupart de mes clients sont originaires du monde arabe. Après le boulot, ils aiment se retrouver entre amis pour boire une boisson, discuter de leur quotidien avant de rentrer chez eux. »
Elles lancent ensuite la discussion avec Najim, marocain de 45 ans, qui leur explique : “Je ne suis pas contre la présence de ces femmes. Il n’y en a juste pas. Je peux comprendre qu’elles se sentent menacées par notre présence, mais nous ne sommes pas là pour les ennuyer. C’est un moment privilégié, on se retrouve entre amis, on regarde le foot pour ne pas ennuyer nos femmes à la maison.” Hamid, 34 ans, ajoute : « C’est vrai que lorsqu’on voit une jeune femme passer, ça nous amuse de lui dire bonjour ou de la draguer, mais c’est un délire entre potes. On va jamais se permettre d’être méchants ou quoi que ce soit. Ce café, c’est notre moment détente ».
Arrive le moment de rentrer pour les deux jeunes femmes. Sur le chemin de retour, leur conversation porte sur cette activité. Une action symbolique qu’elles jugent enrichissante et intéressante. Il est certain qu’elles renouvelleront l’expérience.
AWSA-Be (Arab Women’s Solidarity Association) a lancé depuis mars 2008 une activité sous le nom « femmes aux cafés ». Des sorties mensuelles sont programmées dans des cafés bruxellois fréquentés par la population arabe ou plus précisément par des hommes. Le but de cette initiative est de créer un espace d’échange sincère, respectueux et ouvert entre hommes et femmes.
El Hamamouchi Ilhem
Loubaris Maha
Regards croisés sur les identités belges et marocaines