Les institutions européennes sont de nouveau sous le feu des projecteurs. Pour la Médiatrice européenne, Emily O’Reilly, la Commission Juncker a manqué l’occasion « de faire preuve de leadership mondial dans le domaine essentiel du lobbying du tabac ». C’est ce qu’elle a indiqué ce lundi 8 février, dans le prolongement d’un rapport d’enquête publié en octobre dernier. Celui-ci fait suite à une plainte déposée en juin 2014 par le Corporate Europe Observatory (CEO). Cette association, en charge de surveiller l’influence des lobbys dans les politiques européennes, pointe du doigt le manque de transparence de la Commission européenne qui, à l’exception de la direction générale Santé, ne respecte pas la convention-cadre de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) pour la lutte antitabac.
En effet, la Commission ne considère pas que des réunions avec des avocats représentant les fabricants de tabac soient des opérations de lobbying. La mise en œuvre d’un code de conduite vis-à-vis des lobbys se retrouve également aux oubliettes. Or, selon le CEO, « toutes les institutions de l’Union européenne ont l’obligation de protéger l’intégrité des processus législatifs des intérêts de l’industrie du tabac ».
« Insuffisante, peu fiable et peu satisfaisante »
Emily O’Reilly épouse le point de vue du CEO : l’approche de la Commission est « insuffisante, peu fiable et peu satisfaisante ». La Médiatrice recommande la mise en place de mesures actives pour limiter les interactions avec l’industrie du tabac et pour garantir la transparence de ces relations. Ces dernières sont souvent masquées par un épais écran de fumée. Ce qui n’empêche pas des informations compromettantes de fuiter.
Le scandale du Dalligate révèle ainsi en 2012 que le commissaire à la santé John Dalli est disposé à alléger la directive tabac, en échange de 60 millions d’euros. En 2014, la compagnie de tabac Philip Morris International arrive en tête du classement des entreprises qui dépensent le plus d’argent dans le lobbying européen, devant les compagnies pétrolières. Son budget passe par exemple dans le fichage des députes européens : rouge pour les opposants, bleu pour ceux qui lui sont favorables.
En 2014 également, la nouvelle directive tabac fait sortir les lobbys de leurs gonds. Et pour cause. Elle prévoit la couverture à 65% des paquets de cigarettes par des messages et photographies préventifs, l’interdiction d’arômes qui ciblent les jeunes et l’encadrement des cigarettes électroniques. 200 lobbyistes sont déployés dans Bruxelles pour torpiller la directive. Le budget s’élève à plus de trois millions d’euros. Les étapes sont simples : convaincre la Commission européenne, puis le Parlement européen et les gouvernements nationaux. L’objectif est clair : le chiffre d’affaires de leurs compagnies ne doit pas se trouver impacté par la directive.
Pas de fumée sans feu
La Commission répond à l’enquête de la Médiatrice européenne en soutenant que sa politique de transparence est au point et compatible avec les directives de la Convention de l’OMS. Suite à la plainte du CEO, elle publie également certains comptes-rendus des rencontres avec les avocats de l’industrie du tabac. Cette initiative est saluée par le plaignant, mais demeure insuffisante selon la Médiatrice. La Commission européenne semble vouloir continuer de jouer avec le feu.