En l’espace de quelques années, des forums entièrement consacrés aux apostats de l’islam se sont multipliés sur le net. Ces espaces de discussion permettent aux apostats qui le souhaitent de faire part de leurs expériences personnelles et de témoigner en tant que musulman s’étant soustrait de la religion islamique.
Pourquoi les ex-musulmans ressentent-ils le besoin de se rassembler ? Comment sont-ils perçus par leur entourage et par la communauté musulmane ? Et est-il réellement possible de se soustraire de l’islam ? Telles sont les différentes questions qui constituent le fil rouge de mon enquête réalisée dans le cadre de mes études, en guise d’exercice de journalisme d’investigation.
En Belgique, le nombre d’associations consacrées aux musulmans ayant apostasié est très limité. Sur les différents sites consultables, aucune adresse à laquelle se rendre, ni numéro de téléphone permettant d’approcher ces organisations de manière directe. Le seul moyen d’aller à leur rencontre est d’envoyer des e-mails ou d’utiliser les réseaux sociaux.
“Aucun musulman n’a renié l’islam”
Après de multiples appels téléphoniques et envois d’emails restés sans réponse, je décide de me rendre au Parc du Cinquantenaire, là où se base le Centre Islamique et Culturel de Belgique. A mon arrivée, je suis dirigée vers Ouazzani Abdeljawad, responsable administratif du Centre Islamique. Il affirme que la religion musulmane est si profondément ancrée dans la vie et l’éducation des musulmans qu’il est impossible de s’y soustraire. « A ma connaissance, aucun converti à l’Islam n’a fait marche arrière et aucun musulman n’a renié l’islam. » Pour illustrer ses dires, le Dr. Abdeljawad utilise une métaphore : « le Coran est à la vie ce que le mode d’emploi est au téléviseur. Sans Coran, on ne peut pas vivre. Sans mode d’emploi, on ne peut pas faire fonctionner son téléviseur“. Au cours de notre entretien, le Dr. Abdeljawad a déclaré qu’« il est possible, pour des pratiquants non musulmans, de renier leur religion car, à l’inverse de l’Islam, ces autres religions sont superficielles ».
Notre échange se conclut sur un accord. Il me remet sa carte de visite et s’engage à transférer mes coordonnées à son collègue, responsable de presse. Je ne recevrai de nouvelles ni du responsable presse du Centre Islamique, ni des différentes associations d’ex-musulmans que j’ai contactées.
Le point de vue d’islamologues
En parallèle à ces prises de contacts, je parcours les quelques articles de presse déjà réalisés sur l’apostasie en islam et constate que quelques noms y reviennent régulièrement. Parmi ceux-ci, celui de Radouane Attiya, islamologue, professeur de religion islamique et musulman pratiquant. Dans un article de la RTBF, publié en octobre 2014, Radouane Attiya exprimait son ressenti quant au fait de renier la religion musulmane. Selon lui, l’émergence des mouvements apostats peut avoir « un effet salvateur pour le grand public. Les courants a-religieux ou même apostats viennent nourrir cette culture de la liberté au sein même du monde musulman ».
Lors d’un entretien téléphonique avec M. Attiya, je lui relate ma rencontre avec le Dr. Ouazzani Abdeljawad. L’islamologue se dit scandalisé par la position de déni des représentants du culte face à l’apostasie en islam. « Historiquement, le fait de prendre du recul vis-à-vis de sa religion n’est pas spécifique à la culture musulmane. Il y a un phénomène d’athéisme à travers le monde. Mais dans le monde arabe, pour l’instant, il y a un phénomène latent qui prend beaucoup d’envergure. Les gens s’autorisent à remettre en cause les textes du Coran et le prophète Mahomet. Il y a énormément de convertis, comme de musulmans, qui quittent l’Islam. Avec ce qu’on a appelé le ‘Printemps Arabe’, il y a eu une libération de la parole. La jeunesse arabe est en ébullition. Elle se pose des questions et ose critiquer, interpeller et questionner le sacré comme ne l’ont jamais fait ses prédécesseurs, mis à part certaines figures de l’athéisme, ceux qu’on peut appeler les libres penseurs.»
“La jeunesse arabe est en ébullition. Elle se pose des questions et ose critiquer, interpeller et questionner le sacré comme ne l’ont jamais fait ses prédécesseurs.” Radouane Attiya, islamologue.
De son côté, Guillaume Dye, professeur d’islamologie à l’ULB, me confirme que les propos du Dr. Abdeljawad forment un discours fréquent chez les représentants belges du culte musulman. « La situation, en Belgique, est catastrophique ! Il n’y a qu’à regarder les personnes invitées lors de la foire musulmane de Bruxelles et ceux que les représentants du Culte musulmans jugent pertinents et représentatifs de la religion musulmane (Tareq Al-Suwaidan, prêcheur affilié aux Frères Musulmans, Tariq Ramadan, …) pour s’en rendre compte. »
Pour Radouane Attiya, le besoin de se regrouper entre anciens musulmans est un phénomène naturel. « Dans la configuration où une personne fait le choix de se détourner de certains codes, de rites, etc., ce qui représente tout de même un tournant capital dans la vie de quelqu’un, elle a besoin d’un soutien moral. De plus, il y a dans la religion musulmane, un sentiment d’appartenance très fort. L’islam aime l’idée que tous les croyants et les fidèles appartiennent à une oumma, c’est-à-dire à une communauté. Les ex-musulmans reproduisent, peut-être, ce schéma de manière inconsciente. Ils le reproduisent en quittant l’islam car ils sentent le besoin de se diriger vers un groupe avec qui ils pourraient partager les mêmes discussions et surtout les mêmes expériences. »
En matière d’apostasie, la sécurité est de mise
A ce stade de l’enquête, il m’était impératif d’entrer en contact avec les principaux concernés : les ex-musulmans. N’en connaissant aucun personnellement, la seule façon pour moi de les rencontrer et d’échanger avec eux était de passer par les forums. Je me suis alors décidée à lancer un appel à témoins sur différentes plateformes de discussions réservées aux apostats de l’islam :
« Journaliste, je réalise un sujet autour de “la vie après l’islam”. La problématique de mon article se formule de cette manière : Peut-on réellement se soustraire de la religion musulmane ? Mon approche vise tant l’aspect religieux (peut-on vraiment renier sa religion et ses pratiques après avoir reçu une éducation islamique depuis sa plus tendre enfance ?) que l’aspect relationnel (la manière dont l’apostat est perçu par sa communauté, son entourage, sa famille, …) Je suis à la recherche d’anciens musulmans prêts à témoigner et partager leur expérience. Tenue au secret des sources, je certifie l’anonymat des témoins. Pour me contacter : quellevieapreslislam@hotmail.com »
Des messages postés sur le forum m’incitent à être vigilante. Je m’y inscris sous le pseudo de « Journaliste » et ne donne aucune information personnelle (je ne donnerai jamais mon nom et prénom et créerai une adresse mail temporaire). Faute de pouvoir être identifiée, le responsable d’un des forums m’adressera un courriel dans lequel il me demande de divulguer nom et prénom. Face à mon silence, il supprimera mon compte, m’interdisant l’accès à l’espace de discussion du site.
Mon annonce a suscité l’intérêt de beaucoup d’ex-musulmans. La plupart d’entre eux me disent être disposés à répondre à mes questions, dans la mesure où leur identité est protégée. D’autres mettent en garde les membres du forum et leur recommandent de ne pas communiquer leur identité.
Le regard de l’entourage
Que ressort-il de ces échanges ? Tout d’abord, il apparaît que, à l’annonce de leur apostasie, plusieurs musulmans voient leur décision acceptée par leur entourage proche, comme en témoigne Yacoub.
« Pour l’aspect relationnel, tout dépend de l’entourage en fait. Pour ne pas se mentir, le niveau intellectuel joue beaucoup. Ma petite famille (père, mère, frères et soeur) sont d’un certain niveau intellectuel, ce qui permet un degré de flexibilité et de discussion. Mais je ne discute pas avec ma mère comme je le fais avec mon père, ma mère étant plus émotive que mon père. Ce dernier possède un meilleur sens du rationnel, sans l’être totalement. Je peux facilement discuter avec mes frères et ma sœur sur le sujet. Je suis leur aîné, ils m’écouteront sûrement, mais je n’ai pas envie de les influencer. S’ils sortent de cette religion, je veux que ce soit de leur propre chef. […] Cela dit, je leur donne des conseils sur le fait qu’il faut privilégier leur propre morale à celle de la religion… ». Yacoub
A l’inverse, d’autres soulignent le caractère tabou de l’apostasie et disent s’attirer les foudres de leur famille et amis.
« La pression de la famille, des amis, de la communauté (la oumma), la mosquée, l’imam, … rend les choses très difficiles. Dans beaucoup de pays musulmans, l’apostasie peut être punie de la peine de mort. Ce n’est donc pas un sujet anodin ». Amada
« L’apostat n’a plus de lien avec l’islam de façon personnelle (souvent ça vire à la haine de l’Islam), mais avec sa famille musulmane, c’est compliqué à cause du rejet qui est craint de façon très rationnelle. Pour certaines personnes issues de milieu orthodoxe, il y a la peur de se faire tuer ». Elementaire
« Ma femme et moi avions choisi d’apostasier dans le silence. Mais, je n’ai pas pu me retenir. J’en ai parlé dans ma famille et tous les gens qui me connaissaient à travers le pays l’on su. Mes parents ont été choqué, ma famille entière fut bouleversée. En 2009, ma femme m’a quitté et je me suis retrouvé seul en tant qu’apostat. Je n’avais aucun soutien familial ni amical puisque je n’avais pas d’amis autres que des musulmans “athées”. […] J’ai ensuite continué d’affirmer ma position par rapport à l’islam jusqu’ à en devenir l’ennemi numéro un. » Apostat depuis 5 ans
Peut-on se soustraire de l’islam ?
A la lecture des ces témoignages, on comprend que s’extraire de la religion musulmane est plus compliqué qu’il n’y paraît. Le retrait est possible, mais il exige une démarche toute particulière :
« Oui, on peut se soustraire de l’islam avec un minimum de courage et de lucidité, suivi de recherches intensives sur le sujet. Quand je dis ‘intensives’, je parle surtout d’élargir ces recherches et ne pas se contenter de ce qu’offre la culture musulmane. » Smir Andoff
La prise de distance vis-à-vis de l’islam peut se faire de diverses façons et selon des degrés différents. Pour l’islamologue Radouane Attiya, « ce n’est pas parce qu’un musulman renie certains rituels ou fondements de l’islam, qu’il se détache nécessairement de sa religion. Beaucoup de musulmans, même s’ils prennent du recul vis-à-vis de l’islam, restent liés et assez respectueux de certains codes culturels, vestimentaires ou alimentaires. » Certains anciens musulmans vont, par-exemple, dire qu’ils ne sont plus croyants, mais vont continuer à fréquenter le milieu musulman, et peut-être même épouser un(e) croyant(e). D’autres, au contraire, couperont court avec leur religion et ses pratiques.
La vie « après l’islam »
La lecture des témoignages postés sur les forums révèle que de grandes disparités existent entre les perceptions que peuvent avoir les ex-musulmans de la religion musulmane. Pour certains, la prise de distance envers l’islam se transforme progressivement en une haine profonde vis-à-vis de la religion qui était la leur. D’autres, par contre, choisissent de conserver certains aspects de la culture musulmane.
« Se soustraire de la religion musulmane pour moi ne vaut que pour son aspect spirituel. Concernant la culture et l’éducation, elle est bien ancrée en nous. D’ailleurs ce n’est pas plus mal comme cela. On peut apprécier certains aspects de notre culture sans pour autant lui donner une dimension sacralisée. » Smir Andoff
« Aujourd’hui ma vie va beaucoup mieux, je me rends compte que la plus grande barrière était cet islam qui m’empêchait d’avancer. Mais maintenant que mes yeux sont grands ouverts, j’ai peur. Peur de ce monde qui facilite la propagation de cette religion de haine et de régression. Parfois, quand j’entends des collègues parler, des amis parler, des gens dans le bus parler, je n’ai qu’une envie : hurler, hurler ce que j’ai appris de cet islam qu’ils adorent. Mais c’est tellement délicat, tellement dangereux… Alors c’est avec grand plaisir que je me joins à cet initiative et que je veux grossir les rangs des ex-musulmans de Belgique. Ce n’est peut-être qu’une goutte d’eau dans la mer, mais qui ne tente rien n’a rien. » Jeune ex-musulmane d’origine marocaine
A la lumière de ces témoignages, on comprend qu’il est difficile de balayer d’un revers de la main toute une éducation religieuse imprégnée d’idéologies, de pratiques culturelles et de rituels qui régissent le quotidien. En reniant l’islam, l’apostat rompt non seulement avec son culte, mais aussi avec la communauté dans son ensemble.
Bonjour,
Merci pour cet article fort intéressant.
Je me permets de vous contacter en tant que présidente d’un mouvement de jeunesse citoyenne.
Dans le cadre d’un échange/débat citoyen, je souhaiterai prendre contacter avec le professeur Attiya. Il ne semble pas avoir de page facebook personnelle et le numéro listé sur sa page le site de l’ULG sonne dans le vide.
Pourriez-vous m’aider svp? Ça me tient vraiment très au cœur.
Belle journée à vous.