C’était la question de mes proches avant que je traîne ma présence jusqu’à la capitale du Pays noir. Et je dois avouer que je m’interrogeais moi-même. Pour compléter les crédits de mon année à l’IHECS, je devais, un peu par dépit, prendre l’atelier de journalisme mobile (ou Mojo en anglais). C’était le seul correspondant à mon emploi du temps où il restait de la place. Un sacrifice ? C’est ce que je pensais.
En mode Mojo
Le Mojo, c’est une nouvelle forme de journalisme un peu trendy qui fait du smartphone un véritable outil de communication (avec quand même quelques accessoires supplémentaires). Le but de l’exercice était de nous sortir de notre zone de confort, de nous plonger dans un environnement sombrement connoté et de nous le faire voir avec notre propre regard. Nous devions réussir à produire des contenus (notamment multimédia) sur plusieurs plateformes, de manière agile.
Bon, nos formateurs n’étaient pas non plus complètement sadiques : nous avions une journée pour nous familiariser un brin avec le décor. Au cours de cette acclimatation, ils avaient arrangé une rencontre avec Marcel Leroy pour que nous puissions observer la ville à travers ses yeux.
Un regard éternellement adolescent
Marcel est journaliste depuis 1970 et a un peu tout vu, tout entendu. Il a, entre autres, fait des reportages sur les prisons de Sibérie et fait visiter Charleroi à la famille royale. Il a un regard tendrement biaisé sur une ville qui brille d’une réputation exécrable sur le plan international. Et cette vision décalée était, finalement, l’antidote contre les appréhensions de beaucoup d’entre nous. Tout en expliquant certains des projets de Charleroi 2020, il nous a emmenés manger une frite Chez Robert puis boire un verre à La Maison des 8 Heures. La ville se reconstruit, se métamorphose, selon lui. Rien ne garantit la réussite des initiatives prises, mais Marcel nous confie, après un court silence : “Enfin moi… j’espère que ça ira.”
C’est cette personnalité atypique, et ses discours aux résonances résolument humanistes, qui a ouvert une perspective insolite chez moi. Une ville qui a enfanté un personnage aussi viscéralement bienveillant ne pouvait pas être si incolore ou insipide.
Du dépaysement à la détermination
Vint alors le choix du sujet. Les Carolos tiennent à leur équipe de foot : le Sporting de Charleroi, dit “les Zèbres”. Nous avions d’ailleurs aperçu lors de notre visite guidée un bar intégralement dédié à l’équipe, grimé à ses couleurs : le Café de l’Université. Un autre bar, un peu plus loin sur la même rue, soutenait plus sobrement le Sporting, le Royal Nord. Pourquoi ne pas faire un travail comparatif entre les deux et, autour de ces bars historiques, faire vivre la métamorphose opérée par la ville ? Pas mon idée, mais c’est un angle intéressant. Fonçons.
Les bars, au cœur de la vie de la ville
Des bars, à Charleroi, il y en a pratiquement à chaque coin de rue. Pardonnez, s’il vous plaît, la platitude de l’expression préparée et prête à l’emploi, mais il s’agit de la vérité. Et autour d’eux se cristallisent des amitiés atypiques, se construisent des histoires voire, s’édifient des mythologies.
Je l’avoue, aux premiers abords, je n’étais pas fort à l’aise. Et si je dois être totalement honnête, je dirais que l’origine du blocage m’incombait. Je portais sur les personnes présentes un jugement injuste dont j’étais le seul responsable. Alors j’ai décidé de leur laisser une chance. Et c’est en dépassant ces préjugés que j’ai eu la chance de rencontrer Nordine, Pierre, Solange et Giovanni.
Charleroi, la plus belle des moches
Je n’aurai pas la prétention de comprendre intimement le climat sociologique et culturel de Charleroi. Cependant, à travers ces visions très différentes de la vie carolo, j’ai découvert une des faces cachées de Charleroi : le paradoxe. Les Carolos sont à cœur ouvert, généreux et indulgents, autant qu’ils peuvent être racistes, violents et injustes. Doux et virulents, ils aiment et détestent leur ville. Ils espèrent, ils désespèrent. Ils vivent.
De plus en plus, leurs discours aliénaient nos pensées et nos regards. Il était, de fait, compliqué de conserver une certaine neutralité journalistique. Je me surprenais à m’inquiéter pour l’avenir du Pays noir en découvrant une allée commerçante – presque – complètement désertée. Je me surprenais encore à retenir mon souffle lorsque l’attaque adverse s’approchait trop près des filets des Zèbres. Je découvrais progressivement l’or derrière la suie, les qualités esthétiques de l’imparfait et déverrouillait une dernière fois mon regard pour contempler le cadre : une singularité monstrueuse aux charmes subtils.
Rétrospectivement, au terme de l’expérience, je me l’avoue : j’aurai dû tenter encore plus dans l’optique multimédia, plus de moyens, de techniques et d’angles différents. Je ne suis pas encore suffisamment accoutumé à toutes les mécaniques exploitables du journalisme mobile. L’aventure humaine vécue, elle, est un incroyable triomphe.
Alors, pour vous répondre définitivement : “Moi, Charleroi, j’y crois… enfin… J’espère que ça ira.”