Sergey Elkin taquine les personnalités publiques. C’est comme une drogue à laquelle il ne peut pas résister. Depuis 1995, il les caricature, les dessine, les décrypte, les moque, les critique. Pourtant, il n’avait pas signé pour cela. Sergey était rédacteur dans un journal à Voronezh, au sud de Moscou. Un jour, il n’y eu plus assez de contenu pour remplir les pages. Il s’est donc lancé dans la caricature politique. A 54 ans, il parle toujours de sa profession avec passion.
Sergey est un homme discret qui s’efface volontiers pour laisser de l’espace aux autres. L’interprète présente à notre rencontre nous confie qu’il préfère être seul et qu’il est mal à l’aise avec trop de gens autour de lui. Cette gêne n’est pas palpable avec nous. Au contraire, quand il sourit, le bar où nous sommes semble s’illuminer. Les Eagles chantent lascivement. Sergey commande une bouteille d’eau, qu’il partage avec l’interprète. Il commence par parler de l’âge d’or des caricatures en Russie.
Dans les années 1970 et 1980, un groupe réunit les dessinateurs de Moscou et de Saint-Pétersbourg. A cette époque, ils peuvent dessiner sans être persécutés pour leurs opinions politiques. Après 2003, la situation empire. Les caricaturistes commencent à faire du business en publiant des livres. Mais la crise s’invite dans la partie et engendre une mort lente du support papier. Les journaux ne commandent plus autant de caricatures qu’auparavant, et les jeunes s’orientent de moins en moins vers cette profession sur le déclin.
Sergey suit des règles très simples en matière d’autocensure. Pour ne pas aller à l’encontre de certaines traditions, il s’empêche de faire des blagues sur le corps, le sexe, les malades, les handicapés, les morts et les proches des politiques. D’après lui, la liberté d’expression existe seulement dans les textes de loi. Mais dans la réalité, la plupart des journaux, des magazines et des rédacteurs craignent d’être contrôlés par des institutions étatiques pour ce qu’ils publient. Ils évitent donc de critiquer ceux qui sont au pouvoir, que ce soit via des articles, des dessins ou des caricatures.
« Un jour vous serez pendu »
Comme les autres, Sergey a peur, mais il ne s’arrête pas de dessiner pour autant. Un jour, il reçoit des béquilles par la poste. La menace ne peut être plus claire : si tu continues de dessiner, on te brisera les jambes. Il ne sait pas qui les a envoyées, mais avoue en rigolant avoir apprécié cette idée « créative ». Il reçoit également souvent des commentaires sur ses comptes Facebook et Twitter. Ils citent son surnom, « Yolkyn » (ou « pin » en français) : « Monsieur Yolkyn, un jour vous serez pendu à un arbre ». Les menaces sont tellement nombreuses qu’ il a arrêté d’y faire attention.
Plusieurs contacts au sein de la profession le protègent. Il pense qu’il ne se fera jamais arrêter ou poursuivre, car il deviendrait alors une figure publique. Les autorités ont tout intérêt à ne pas faire de la publicité pour le Moscow Times. Sergey reste dans l’ombre et continue de railler ceux qui ont choisi d’être sur le devant de la scène médiatique.