Des agressions sexuelles en masse lors des festivités du nouvel an à Cologne jusqu’aux regards ou commentaires déplacés que les femmes peuvent rencontrer dans leur quotidien, le harcèlement de rue est une réalité floue, parfois banalisée, mais non moins grave et taboue. Irène Zeilinger, sociologue et responsable de l’ASBL Garance, combat les violences faites aux femmes depuis plus de 20 ans. Mais elle doute que la justice soit efficace face caractère diffus du harcèlement de rue.
Comment peut-on identifier facilement le harcèlement de rue ?
La difficulté du harcèlement de rue, c’est qu’il dépend du ressenti de la personne. Les autorités ne pourront pas le définir de manière claire et tranchée. Les femmes peuvent l’identifier facilement, par deux questions : ‘’Est-ce que je me sens à l’aise avec le comportement de l’autre personne ?’’ et ‘’Est-ce que je suis dans l’espace public ?’’. Si la réponse est non à la première et oui à la deuxième, c’est du harcèlement de rue.
Est-ce que la justice peut prendre des mesures efficaces contre ce harcèlement ?
Je doute que la justice soit bien placée pour arriver à faire cela. Il y a une loi en vigueur depuis aout 2014, mais que je sache, presque aucune plainte n’a été portée. C’est assez logique, car il faudrait que les femmes connaissent l’identité de la personne, et c’est une spécificité du harcèlement de rue de ne pas connaitre son agresseur. La Justice ne peut agir réellement que par la répression d’un acte déjà commis. Avec l’ASBL, nous cherchons à prévenir le harcèlement en général.
Prévenir…
Nous organisons des formations, avec d’abord un travail sur le ressenti. Chaque femme réagit différemment, on apprend surtout à rester maître de soi-même et à garder son calme pour gérer ses émotions. Ensuite on construit des stratégies (verbales ou non verbales) pour mieux réagir sur le moment même, ou apprendre à ne pas réagir seule et faire intervenir des témoins.
Est-ce que des mesures peuvent être organisées à plus grande échelle ?
Certaines campagnes de sensibilisation ont été menées, mais je ne suis pas partisante de ce genre de mesures. C’est important qu’elles soient organisées, malheureusement, comme toutes les campagnes de prévention, elles sont faites pour mettre le problème en évidence et poser un jugement moral dessus. Les gens savent que ce n’est pas bien, mais ils ne savent pas comment réagir. Elles ne visent que très rarement des comportements concrets.
Quelles sont alors les solutions contre le harcèlement de rue ?
En plus des campagnes, il faut créer des programmes éducatifs auprès des enfants, mais aussi des jeunes et des adultes. On travaillerait d’un côté avec les hommes, pour les sensibiliser aux conséquences, mais aussi leur apprendre à réagir s’ils se retrouvent témoins. D’un autre côté on travaillera avec les femmes, pour qu’elles se sentent légitimes dans leurs réactions et qu’elles ne cherchent pas la faute chez elle.
Je ne parle pas de quelques leçons à l’école, mais d’une éducation dès le plus jeune âge par les parents. Il faut mettre à disposition des parents différents outils pour construire une éducation respectueuse des différences, car lorsqu’ils arrivent à l’école c’est trop tard pour leur inculquer ce genre de valeurs.
Réagir face au harcèlement
Ignorer les remarques semble la réaction la plus simple, mais ce n’est pas la meilleure pour la victime. La priorité est de mettre en évidence le harcèlement pour qu’il cesse. Nommer d’une voix claire ce qui vous dérange, garder une distance –sans insulter l’agresseur, et rester calme sont des bonnes solutions. Le téléphone peut avoir un effet dissuasif, si vous menacez d’appeler la police. Vous pouvez également trouver refuge dans un lieu public ou une rue fréquentée par exemple. Enfin, n’hésitez pas à attirer l’attention, par un cri ou en enclenchant l’alarme d’une voiture. De nombreuses autres stratégies existent, mais il n’y a pas de formule magique. Il faut construire sa stratégie en fonction de soi.
Propos recueillis par Valentin Mattelaer