Marie-Louise est un petit bout de femme, au regard maternel, au dévouement sans bornes. Elle a vécu l’horreur mais respire pourtant la joie de vivre. Très rieuse et emplie de sagesse, elle n’a pas de rancœurs. Par son histoire, elle change le regard des autres, le transforme.
Marie-Louise est Tutsi. Qui dit « Tutsis », dit malheureusement génocide au Rwanda. Mariée et mère de trois « grands enfants », elle a échappé au massacre des siens dans la capitale rwandaise, où elle habitait, avec son mari et ses enfants. « C’était le flou total et c’était le chaos aussi. On ne savait pas ce qu’il se passait exactement, tout le monde pouvait y passer. »
L’Histoire occidentale considère le 7 juin 1994 comme le début du génocide des Tutsis. Ce jour-là, Marie-Louise se trouve à Kigali. L’insécurité était devenue son quotidien, ainsi que les couvre-feux, les explosions de bombes, les pillages et les annonces d’une connaissance disparue.
Souvenirs envolés
Pour les gens qui en avaient les moyens, il valait mieux fuir. « Nous sommes partis sans rien en pensant qu’on allait revenir, comme pour des vacances. » Elle a vécu ce départ comme un arrachement, l’amour du pays reste d’ailleurs toujours très fort. Pour Marie-Louise, le plus difficile a été et est toujours l’absence de souvenirs matériels, de photos. Ses enfants aimeraient « voir papa et maman quand ils étaient jeunes… mais c’est impossible ». Elle a pu récupérer cinq photos via des amis ou la famille, c’est tout ce qu’il lui reste de sa vie « d’avant ». « Chacun raconte autre chose. Mais pour moi, le plus dur, ça a été les photos. »
« Tu peux fuir ce qui te court derrière, mais pas ce qui te court dedans »
Voilà un proverbe rwandais illustrant bien son histoire. « C’est vrai que tu peux fuir ce qui te court après. Là, j’ai fui, j’ai quitté l’insécurité mais ça reste en moi, ça reste mon histoire, mon vécu, mes blessures ». Marie-Louise a appris à relativiser. Le génocide l’a certes changée, elle croyait en un monde idéal où tout le monde s’entendait parfaitement. Cependant, ce n’est pas un passé qui l’empêche de vivre ou qui la hante. « Je ne sais rien changer. Quand on ne sait rien changer, il faut avancer. » Mais il ne faut pas oublier, ni vivre dans le déni. Oublier, cela reviendrait à donner raison aux génocidaires.
Comme pour tout traumatisme, il faut extérioriser. Dans la grande communauté rwandaise de Belgique, ils en parlent beaucoup au travers d’anecdotes. « Cela nous sert de thérapie. Chaque membre est un thérapeute pour l’autre. »
« Faire nos études dans le système belge a facilité notre intégration »
Son exil a été décidé par le sort. Les dés sont tombés sur un mauvais numéro, il a fallu retourner à la case départ, recommencer une nouvelle vie ailleurs. Cet ailleurs a été la Belgique. Comme un clin d’œil, elle dit que « les Belges sont très accueillants. Nous avons fait nos études dans le système belge, cela a facilité notre intégration et notre reconstruction. » Même si elle est nostalgique de son pays, elle explique que la Belgique lui apporte la sécurité que le Rwanda, « tant que le régime actuel est une dictature », ne peut pas lui procurer. Elle n’y est jamais retournée.
Marie-Louise jongle aujourd’hui entre ses deux métiers à la manière d’un super-héros. Infirmière la nuit, elle enseigne également son métier le jour. Le reste de son temps, elle le passe avec sa famille ou dans des associations de Rwandais. Assoiffée de justice, de démocratie et de paix, elle souhaite faire connaître au monde la vérité qui est cachée derrière le génocide. « Je pense que les gens qui n’ont pas vécu de guerres ne comprennent pas ce qu’elles signifient. S’ils savaient, nous serions beaucoup plus tolérants et pacifistes. »
Portrait réalisé par Leirens Marie