Au lendemain du sommet européen extraordinaire sur l’immigration, les choix des dirigeants ne font pas l’unanimité. Suite à la mort de 1600 migrants le long des côtes méditerranéennes depuis le début de l’année 2015, les 28 états-membres devaient prendre des mesures urgentes. « Nous avons décidé de renforcer notre présence en mer, de combattre les trafiquants, d’empêcher les flux de migration illégale et de renforcer la solidarité et la responsabilité interne. » Pour ce faire, le plan d’action prévoit de l’aide au contrôle des frontières, le renvoi des migrants illégaux dans leur pays d’origine et la volonté d’accueillir des bénéficiaires de l’asile, principalement des Syriens. L’Union européenne a également décidé de tripler le budget de l’opération Triton, afin de renforcer les opérations menées près des côtes italiennes, grecques et maltaises. François Gemenne, spécialiste des questions de gouvernance mondiale de l’environnement et des migrations, réagit et analyse la situation.
Quelle est votre sentiment à l’issue du sommet européen de ce jeudi ?
Ils ont pris la mauvaise direction. C’est à nouveau une réponse policière qui ne réglera pas le problème de fond. La réponse donnée par le sommet européen ne peut pas remplacer un projet politique. En ce qui concerne l’augmentation du budget de l’opération Triton, c’est bien, mais le problème reste que Triton n’est pas une opération de sauvetage. Tant qu’on ne prend pas les dispositions pour une véritable opération de sauvetage, l’augmentation de tous les budgets ne résoudra pas le fond du problème.
Faut-il selon vous renforcer ou ouvrir les frontières européennes ?
Il faut évidemment les ouvrir, ou au moins rétablir des voies d’accès légales pour les migrants. Fermer les frontières a pour seul effet de rendre les migrations plus dangereuses, certainement pas de les réduire. Les naufrages dans la Méditerranée sont largement la conséquence de cette politique de fermeture des frontières : jamais une frontière fermée ne découragera un migrant de tenter sa chance.
Quelles peuvent être les conséquences d’une ouverture des frontières sur ces flux migratoires ?
Globalement, l’ouverture des frontières ne modifierait pas significativement les flux migratoires. Simplement, les circulations entre pays d’origine et de destination seraient plus faciles, ce qui veut dire que les migrants pourraient plus facilement faire des aller-retours avec leur pays d’origine, ce qui développerait logiquement les échanges.
D’après vous, pourquoi l’Europe n’est-elle pas capable de gérer ces flux migratoires ?
Actuellement, il n’y a pas de véritable politique européenne en matière d’asile et d’immigration. Le seul dénominateur commun est la fermeture et la surveillance des frontières. Ça ne peut pas remplacer un projet politique. Aujourd’hui, on a 28 politiques migratoires différentes, ce qui crée inévitablement d’énormes disparités et d’énormes injustices. La priorité est d’harmoniser ces politiques, de définir des critères d’admission communs, et de rétablir des voies d’accès légales vers l’Europe.
Y a-t-il un pays européen qui incarne l’exemple à suivre en matière de politique migratoire ?
La Suède a toujours une politique migratoire plus humaine et plus progressiste. Rapporté au nombre d’habitants, c’est sans doute le pays européen qui accueille le plus de réfugiés. Il faut aussi saluer l’attitude de l’Italie en ce moment, très isolée face à la crise.
Quelles sont, d’après vous, les solutions envisageables pour l’Europe à ce stade ?
La priorité est de sauver des vies, donc il faut absolument rétablir une opération comparable à Mare Nostrum. Ensuite il faut rétablir des voies d’accès légales vers l’Europe.