Dans la lumière depuis qu’il s’est fait le porte-parole des élus brabançons dans l’affaire du RER, Stéphane Crusnière (PS), longtemps conseiller communal à Wavre, cultive pourtant la retenue. Gros travailleur, son entrée au parlement fédéral en 2014 lui octroie une liberté de parole nouvelle. Sans pour autant céder à l’engrenage du tout-communication.
« Il y a les gueulards, ceux qui ont besoin de hurler pour se faire entendre. Ce n’est pas mon cas. » Stéphane Crusnière (PS) ne les citera pas, les gueulards, « mais il y en a ». Lui préfère être perçu comme quelqu’un « qui connaît [ses] dossiers. Je pense qu’il en faut dans un parti. » Dernier en date, et pas des moindres, l’explosif chantier du RER. Du côté de Wavre, fief de celui qui prêta serment en juillet 2014, la situation inextricable dans laquelle s’enlise l’avancée des travaux devient intenable. Les élus de tous bords ont entériné à l’unanimité au conseil communal, une motion destinée à éclaircir les positions du fédéral sur le sujet. Unique député fédéral socialiste du Brabant wallon, Stéphane Crusnière s’en fait le porte-voix.
« Le consensus allait de soi »
« Il a piloté cette initiative, qui lui tient très à cœur, en communiquant beaucoup au sein du conseil », témoigne Kyriaki Michelis, conseillère communale et voisine de Stéphane Crusnière à Wavre. « C’est quelqu’un de très médiateur qui a su fédérer les entités », ajoute sa collaboratrice depuis bientôt deux ans, Laëtitia Baudewijns. “Le consensus allait de soi”, tempère Françoise Pigeolet, bourgmestre en fonction du chef-lieu. “L’ensemble des groupes, majorité comme opposition, est bien conscient de l’enjeu que représente le RER et reste vigilant quant à son impact sur Profondsart.”
Sans remettre en cause les convictions de son collègue, l’élue MR y perçoit davantage une manœuvre opportuniste du PS qui n’avait d’autres choix que de se faire entendre. Le CDH Benoît Thoreau ne manquait d’ailleurs pas de souligner dans la foulée que la motion reprenait mot pour mot celle déposée par son groupe au Conseil provincial. « On a parlé d’une seule voix ou, devrais-je dire, à quatre voix », commente malicieusement Marcel Cheron (Ecolo), en référence à l’objectif de mise à quatre voies intégrales des lignes 124 et 161. “Tout est toujours suspect en politique. Il doit y avoir autant de conviction que de récupération.” Réplique de l’intéressé : « Il s’agissait de remettre Mme Galant (alors ministre de la Mobilité, ndlr) à sa place et de répondre à un besoin urgent. »
Suppléant d’André Flahaut
C’est que le néophyte au Parlement, expert en finances, a le bras long chez les hauts placés. Encore aujourd’hui, il entretient de solides contacts avec le bourgmestre en titre de la ville, le Premier ministre Charles Michel, qui a d’ailleurs qualifié la réalisation du projet de « priorité du gouvernement. » « Il a fait voter une résolution vitale sans calcul médiatique dans la commune du Premier ministre », souligne André Flahaut, l’actuel ministre du Budget et de la Fonction publique qui le connaît bien.
Les deux hommes se côtoient régulièrement à Wavre où ils occupent des bureaux attenants. Plus encore, ils partagent une histoire commune, laquelle remonte à 2010, moment où M. Flahaut découvre les talents de celui qui deviendra son poulain. Alors président de la Chambre des représentants, il sollicite le chef de cabinet de la gouverneure du Brabant wallon de l’époque, Marie-José Laloy, pour en faire son suppléant. “Outre son engagement et son sérieux, c’est quelqu’un de très fiable”, assure son mentor. “C’est un confort de pouvoir s’appuyer sur quelqu’un qui ne brandit pas un poignard dans votre dos ou qui ne vous envoie pas trop souvent en vacances.”
Prédisposé au consensus
Même son de cloche du côté de Françoise Pigeolet qui apprécie « qu’il soit un homme de parole ». Des qualités humaines que personne ou presque dans ses rangs et au-delà ne remet en cause. Sa gentillesse et son sens de la synthèse et du dialogue constructif lui confèrent un respect unanime parmi ses homologues. “A priori, je n’en pense que du bien”, avance Richard Miller, député MR que Stéphane Crusnière a consulté à propos de la nationalité belge. “Même si du fait de nos appartenances politiques respectives, je le trouve parfois excessif.”
Marcel Cheron, lui, se remémore « d’un débat sur le fond » lors des dernières élections législatives en 2014. « C’est assez rare dans un exercice où les coups bas sont généralement de mise. » « Le cœur sur la main », dixit sa co-voitureuse Kyriaki Michelis, sa prédisposition au consensus laisse planer quelques doutes sur sa capacité à assumer ses convictions. « Parfois, je le trouve un peu mou », convient Benoit Thoreau. « Avec ce type de profil, d’aucuns pourraient penser qu’il dénote un manque de tranchant. Que le personnage n’est pas assez affirmé, pas assez tonitruant. C’est le revers de la médaille », imagine quant à lui M. Cheron. Un trait de caractère qui n’a en revanche rien d’antinomique avec la fonction de responsable politique pour André Flahaut. « Ceux qui ont les dents longues et qui n’obtiennent pas de résultats sont vite repérés. »
L’oreille du ministre Reynders
Davantage que sur la mise en marche du RER, le président du comité interparlementaire Belgique – RDC milite farouchement pour des positions plus dures vis-à-vis de la Grande-Bretagne. « Chaque concession affaiblit la collectivité et nous divise. Le moment est venu de refuser », déclarait-il à la mi-février alors que David Cameron, le Premier ministre britannique, démarchait ses partenaires à Bruxelles. Quinze jours plus tard, l’accord « anti-Brexit » signé, sa conviction n’a pas bougé d’un iota. « C’est inacceptable que la Grande-Bretagne viennent imposer ses règles. Cela va dans le sens de l’immobilisme, regrette-t-il. Je crois à l’Europe telle qu’elle a été conçue au départ. On en est malheureusement loin. »
Dans un autre domaine, le bientôt quinquagénaire s’attaque depuis janvier à l’obligation de déclaration conservatoire. À ce jour, un Belge né et résidant à l’étranger perd de facto sa nationalité belge s’il n’a pas manifesté son intention de la conserver avant sa majorité. Une incongruité pour Stéphane Crusnière qui a l’oreille du ministre des Affaires étrangères, Didier Reynders. « Avoir l’occasion de faire passer un amendement en loi n’est pas légion chez les députés », fait valoir André Flahaut.
Amateur de ski
Affairé à Bruxelles, Stéphane Crusnière n’en demeure pas moins proche de sa base. Primauté va au local et à la proximité avec les citoyens. « Je suis passionné par mon travail et me considère avant tout comme un représentant du peuple. » Vice-président de Macamagie, une asbl qui œuvre en grande partie pour les enfants, le père de famille enfile chaque année un costume avec son épouse pour participer aux activités thématiques. « Je le trouve un peu plus distant vis-à-vis de la réalité wavrienne même si cela est normal », nuance Benoît Thoreau sans toutefois nier son investissement.
À côté de son activité « énergivore », l’homme Stéphane Crusnière se passionne pour le sport et ne manque pas une occasion de sauter sur ses skis. Au fait des festivals musicaux durant l’été, il est à la recherche d’un juste milieu entre son travail et la fréquentation de ses proches. « Ce besoin de rester au contact des gens, je le dois à Marie-José Laloy et André Flahaut ». Le mot de la fin revient à ce dernier: « Il est une jeune pousse qui ira loin. Il y a des avions, les C-130 qui sont lourds mais qui durent longtemps. Il existe à l’inverse des machines bien plus rapides, qui partent très fort et retombent à pic.. On peut dire qu’il est l’entre-deux, un diesel qui, une fois lancé, le fait avec constance et détermination. » Toujours le plus loin possible des projecteurs. Car les fleurs éclosent aussi à l’ombre.