Le 9 février dernier, le peuple suisse a voté en faveur d’une limitation de l’immigration de masse. Une décision qui a mis le feu aux poudres et qui a provoqué une réaction sans précédant. La Commission Européenne a immédiatement décidé de suspendre avec la Suisse son programme d’échange étudiants Erasmus ainsi que le programme de recherche Horizon 2020. Presque un an après, que peut-on déduire de l’impact d’une telle votation?
L’initiative suisse du 9 février dernier intervient dans le cadre d’une votation populaire. L’initiative, à l’opposée du référendum classique, est une demande émanant d’un groupe de citoyens sur laquelle le peuple doit se prononcer, quand le référendum classique vient du gouvernement. En effet, la Suisse est ce qu’on peut appeler une démocratie semi-directe. A la fois représentative, car le peuple élit ses représentants aux différents conseils, mais il conserve un droit de participation directe avec certains outils comme l’initiative populaire ou le référendum. « L’opposition en Suisse, c’est le peuple. Quand le peuple dit non le gouvernement ne démissionne pas. Il doit mettre en œuvre ce qu’a dit le peuple» explique Rafael Saborit, porte-parole de la Mission Suisse.
Une situation plutôt unique qui différencie la Suisse des pays européens à la démocratie représentative dans lesquels le référendum reste une mesure exceptionnelle. Tel est le cas de la Belgique qui a connu son dernier référendum en 1950 avec la Question Royale. Le peuple devait alors se prononcer en faveur ou non du retour du Roi Léopold III sur le trône de Belgique. Les relations entre la Suisse et l’Union Européenne ont toujours été tumultueuses. Une procédure d’adhésion à l’Union Européenne avait pourtant été lancée au début des années nonante mais avait finalement avorté. Le peuple suisse s’y était en effet opposé lors du référendum du 6 décembre 1992. Le gouvernement suisse avait alors décidé de stopper net toute tentative d’adhésion et s’était cantonné à des accords bilatéraux. Ce sont ces mêmes accords bilatéraux, et notamment celui de la libre circulation des personnes, qui sont aujourd’hui remis en cause par la Suisse à travers l’initiative du 9 février dernier.
Un clivage entre les cantons
La Suisse est divisée en vingt-six cantons. Chaque canton représente une voix dans le cas de votations populaires. C’est peut-être ici que le clivage entre francophones et germanophones se fait le plus ressentir (six cantons francophones contre dix-huit cantons germanophones).
En effet, lors de la dernière élection, l’ensemble des cantons germanophones, à l’exception des cantons de Zurich et de Bâle-Ville, se sont positionnés en faveur de la limitation de l’immigration de masse. Pourtant, ce sont ces mêmes cantons qui sont le moins concernés par l’immigration. S’il existe un clivage linguistique, c’est surtout entre zones rurales et urbaines que l’opposition se fait ressentir à travers le résultat de cette initiative populaire. C’est d’ailleurs dans les campagnes que l’Union Démocratique du Centre (UDC), parti de droite dure, à l’origine de cette initiative a fait école. L’UDC, premier parti de Suisse, est aussi à l’origine d’autres initiatives controversées comme l’interdiction des minarets et l’expulsion des criminels étrangers. Ces dix dernières années, le parti monopolise les initiatives populaires qui étaient alors un outil pour les minorités comme le souligne Rafael Saborit : « droit accordé aux minorités, aux partis pas représentés au gouvernement ou qui se sentent minoritaires pour créer un débat dans toute la Suisse ».
Un blocage sans précédent
Dès le lendemain de la votation populaire, la commission européenne prend position. Elle décide de suspendre les accords d’échange étudiants Erasmus et Horizon 2020, le programme de recherche scientifique européen. « Cela a provoqué un choc et une crise dans les premières semaines qui ont suivies le vote. Toute une série de pourparlers, de discussions et de négociations ont été interrompues » rappelle Rafael Saborit. Depuis, les accords ont été partiellement renégociés mais ne seront effectifs que jusqu’à fin 2016. En effet, le gouvernement suisse a jusqu’à 2017 pour soumettre aux Chambres un projet de loi. Si celui-ci est accepté, il deviendra un nouvel article constitutionnel et entrera en vigueur immédiatement. Des quotas seront donc instaurés aux frontières du pays et changeront d’années en années selon les besoins de l’économie suisse. Si celui-ci, après deux va-et-vient entre les Chambres, est rejeté, il tombera à l’eau. Une perspective que semble espérer l’Union Européenne. 2017 sera donc une année charnière qui décidera des futures relations entre la Suisse et l’Union. Rafael Saborit mentionne que : « si la suisse concrétise cette initiative cela signifiera un gel des relations dans un tas de domaines et probablement des difficultés ».
Un fort sentiment anti-européen
Depuis 2007, la Suisse a accueillie environ un million de travailleurs étrangers, bien plus que dans tous les autres pays de l’Union. Ces travailleurs étrangers, souvent très diplômés ont créé une concurrence sévère sur le marché du travail suisse. Cette situation est une conséquence de l’application très rigoureuse par la Suisse de la libre circulation des personnes demandée par l’Europe. Dans les villes frontalières comme Genève ou Bâle, Français et Allemands arrivent en masse chaque année, attirés par des salaires défiant toute concurrence au grand dam des travailleurs suisses se sentant lésés par la situation. Quoi qu’il en soi, cette votation aura eu pour conséquence d’éloigner notablement la Suisse des autres pays de l’Union. Une Suisse qui ne semble toujours pas s’orienter vers une adhésion à l’Union Européenne et qui semble de plus en plus isolée.