« Syrian Hero Boy », cette vidéo où l’on voit un jeune garçon syrien sauver une petite fille des tirs de snipers, crée la polémique. La scène, qui semble avoir été prise sur le vif par un smartphone et qui a été largement diffusée par les médias occidentaux, s’avère être une fiction, un tournage imaginé de toutes pièces par le réalisateur Lars Klevber. Le Norvégien de 34 ans a en effet avoué à la BBC avoir tourné cette scène à Malte, avec des acteurs professionnels, dans le but de créer un débat sur les enfants en zones de guerre.
Un scandale déontologique
Selon André Linard, secrétaire général du Conseil de déontologie journalistique (CDJ), « réaliser une fiction et la présenter comme une scène réelle est déontologiquement inacceptable ». En présentant sa vidéo comme un contenu journalistique alors qu’il s’agissait d’une campagne de communication et de sensibilisation, le réalisateur a violé le tout premier principe du code de déontologie journalistique : l’interdiction de tromper le public. Après la découverte de la supercherie, nombreuses ont été les critiques. Des journalistes ont dénoncé la démarche de Lars Klevber, jugée honteuse et irresponsable.
Face à ces commentaires négatifs, le réalisateur s’est défendu et a déclaré à la BBC être « content des réactions et du débat suscités ».
« Syrian Hero Boy » vu par un Syrien de Belgique
Yahia Hakoum, Syrien de 29 ans arrivé en Belgique il y a deux ans et demi, a participé aux toutes premières manifestations contre le régime de Bachar al-Assad. Après avoir été emprisonné trois fois et avoir subi la torture, il est contraint de s’exiler. En février 2012, il arrive en Belgique grâce à un visa d’études et doit laisser sa famille au pays. Aujourd’hui, il regrette que la situation empire de jour en jour et aimerait que l’Europe fasse plus d’efforts et soutienne davantage le peuple syrien.
Cependant, il juge malhonnête la démarche du réalisateur et considère qu’elle n’aura pas de réel impact dans «une société européenne qui ne veut pas être sensibilisée ».
L’avis de Yahia Hakoum
Quand l’agenda-setting conduit à des dérives médiatiques
L’objectif du réalisateur ? Placer la question des enfants de la guerre dans l’agenda médiatique. Ce concept d’agenda setting (« mise à l’agenda »), développé par les chercheurs américains McCombs et Shaw au début des années 1970, renvoie à la nécessité pour les journalistes d’exercer leur métier en toute indépendance vis-à-vis des politiques et des communicants. Ce principe peut toutefois avoir des effets pervers. Aujourd’hui, un événement n’existe socialement que lorsqu’il est médiatisé. Une information en chassant une autre, les Syriens étaient petit à petit oubliés des médias occidentaux. Jusqu’à la diffusion de cette fausse vidéo.
Lars Klevber se dit content du buzz que sa vidéo a engendré. Mais la fin justifie-t-elle toujours les moyens ?