On se souvient tous et toutes de cette vague folle de #Metoo partie de l’Atlantique ravageant tout sur son passage et ce jusqu’en Europe. Un véritable ras-de-marée qui a permis à de nombreuses langues de se délier et surtout de mettre en lumière des sujets trop longtemps restés tabous : ceux du harcèlement sexuel et du sexisme.
Avant toute chose, un flash back en guise de rappel s’impose. En 2017, l’ASBL Touche Pas A Ma Pote a dévoilé des chiffres alarmants relatifs au harcèlement sexuel de rue pour la Région de Bruxelles Capitale. Ceux-ci montrent notamment que 98% des femmes ont déjà été victimes de harcèlement de rue.
Près d’un an après le phénomène #Metoo, qu’en est-il à Bruxelles? Quels projets ont été mis en place ? Nous avons relevé cinq actions concrètes qui permettent de lutter contre le harcèlement sexuel et le sexisme.
1. Une application mobile pour géolocaliser les agressions
La secrétaire d’Etat bruxelloise à l’Egalité des chances Bianca Debaets (CD&V) a lancé en mars 2018 la première application belge destinée à combattre le harcèlement sexuel en rue. Le projet est né en collaboration avec l’ASBL “Touche pas à ma pote” (TPAMP) dont l’application a repris le nom.
Inspirée de sa version française “Handsaway” , l’app’ est disponible sur Google Play et l’Apple Store. Elle est principalement utilisée à Bruxelles mais fonctionne sur tout le territoire belge.
Comme l’explique Béa Ercolini, directrice de TPAMP : “L’app’ offre la possibilité à celles qui viennent de se faire harceler, insulter ou agresser de s’exprimer et d’être réconfortées par un réseau de ‘potes’. Exprimer son angoisse et son mal-être face à une situation d’harcèlement est déjà quelque chose. Lire des mots compatissants fait du bien.” Avant d’ajouter : “ Elle donne aussi de la visibilité au phénomène du harcèlement de rue qui a longtemps été nié. Rendre le phénomène visible permet d’aider les autorités à affecter des moyens de prévention ou de verbalisation“.
L’ASBL s’est d’ailleurs engagée à fournir les datas (quantitatives) à la police bruxelloise après un an d’utilisation de l’app’.
2. Une coopération concrète avec les agents de police
Les représentants de l’ordre et les autorités ont longtemps été laissés pour compte, se retrouvant souvent démunis face aux situations de sexisme, de harcèlement sexuel et de prise en charge des victimes. #Metoo aura aussi, à sa façon, mis en lumière le cruel manque de formation de nos agents de police et de nos gardiens de la paix.
C’est pourquoi, cet été, l’ASBL TPAMP a organisé des séances de sensibilisation sur le sujet auxquelles 300 agents de police et gardiens de la paix ont assisté. Actuellement, l’association planche sur la mise en place d’une formation spéciale pour les policiers bruxellois : une formation barémique, qui vaudra des points valables pour l’avancement de celui qui les suit. Une approche positive et motivante afin de prendre des dispositions face au sexisme.
De son côté, la secrétaire d’Etat à L’Egalité des chances (Bianca Debaets) organise de plus en plus de formations pour les policiers afin de les aider à mieux prendre en considération les plaintes des femmes victimes de sexisme ou des personnes LGBTQI+. En effet, toujours selon les chiffres de l’ASBL TPAMP, seulement 5% des femmes ayant répondu à leur enquête ont porté plainte. “Nous avons également déployé davantage de personnel de sécurité dans les transports en commun bruxellois : bus, trams, métros. De nombreuses femmes sont agressées dans nos transports publics” précise Pierre Migisha, porte-parole de la secrétaire d’Etat.
3. La création de collectifs, dont “Laisse les filles tranquilles”
Depuis quelques mois, des affiches, pochoirs et stickers “Laisse les filles tranquilles” fleurissent dans les rues de Bruxelles. A l’origine de ce projet, le cheminement de trois amies, qui voit finalement le jour début 2018 : « Le harcèlement de rue à Bruxelles est un problème qu’on subit depuis notre adolescence. Ce n’est pas normal de redouter la réaction des hommes en fonction de notre tenue, que ce soit en soirée ou même en pleine journée ».
Un ras-le-bol, une crainte, un trop plein qu’elles décident d’exprimer à travers un slogan simple et percutant. Une réponse spontanée à ces comportements sexistes qui s’immiscent et persistent dans notre quotidien. “Il fallait qu’on agisse à notre façon face à ce problème” confient-elles. Leur slogan a pour principal objectif de sensibiliser les hommes et non pas de les stigmatiser : “On touche tous les hommes, de tous les âges, de tous les milieux et de toutes les ethnies. Il faut arrêter de penser qu’un seul et unique type de personne harcèle les filles en rue. Cela peut très bien être quelqu’un qui ressemble à notre père ou à notre petit frère”.
Les trois jeunes femmes désirent rester anonymes afin de dédier leur slogan à toutes les femmes : “Nous ne voulons en aucun cas que notre slogan soit associé à une personne, une ethnie ou encore un âge. On préserve notre anonymat afin de représenter le cri de toutes les femmes.”
Aujourd’hui, le collectif très suivi par sa communauté sur les réseaux sociaux décide d’élargir son champ de sensibilisation à toutes les minorités discriminées à Bruxelles. On peut lire des variantes telles que “Laisse les voilées tranquilles” ou encore “Laisse les gays tranquilles” : “Je pense que plus on communiquera et parlera de ces discriminations, plus on fera bouger les choses, à notre échelle. Il faut sensibiliser et ce dès le plus jeune âge, l’éducation est une des clés pour lutter contre le harcèlement de façon générale“.
4. Des campagnes de sensibilisation dont #ZEROSEXISM
Il est important de garder à l’esprit que le harcèlement sexuel en rue est une des nombreuses formes de sexisme. Il en existe beaucoup d’autres. C’est pourquoi une campagne d’empowerment menée par Equal.Brussels et la direction de l’Egalite des chances du service public régional bruxellois a vu le jour ce 23 octobre 2018. Son nom est on ne peut plus clair : #ZEROSEXISM.
Cette campagne communique un chiffre plus qu’interpellant : “86%. C’est le pourcentage de femmes bruxelloises ayant déjà vécu au moins une forme de harcèlement sexuel, allant des regards insistants, aux questions inopportunes ou aux attouchements indésirables.”
“86%. C’est le pourcentage de Bruxelloises ayant déjà vécu une forme de harcèlement sexuel”
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La campagne s’affiche dans les métros, sur les réseaux sociaux et via de courtes vidéos de caméras cachées . Dans ces dernières, des acteurs provoquent des scènes de harcèlement dans les lieux publics afin de faire réagir les témoins.
Agir, c’est ce à quoi le projet vous encourage. En effet, ce 23 novembre sur la Place Flagey un événement de clôture sera organisé. Le but ? Qu’un maximum de citoyens y participent ! Plus d’informations pratiques sont à venir.
5. Des actions dans les écoles
Parce qu’il serait absurde de ne sensibiliser que les adultes, des actions pédagogiques sont mises en place. Par exemple, l’ASBL TPAMP organise des séances d’impro dans des classes de primaire et de secondaire. Le collectif Laisse les filles tranquilles a aussi récemment été sollicité pour des workshops dans les écoles : “Il s’agit de séances éducatives. C’est ça aussi le vrai fond du problème : un manque d’éducation et de sensibilisation au harcèlement sexuel, au sexisme et ce dès l’enfance“.
L’éducation, voici peut-être la clef pour construire une société où l’égalité des sexes et des genres ne se résumerait plus à une utopie. C’est ce qu’écrit Chimamanda Ngozi Adichie dans son essai We should All be Feminists : « J’aimerais aujourd’hui que nous nous mettions à rêver à un monde différent et à le préparer. Un monde plus équitable. Un monde où les hommes et les femmes seront plus heureux et plus honnêtes envers eux-mêmes. Et voici le point de départ : nous devons élever nos filles autrement. Nous devons éduquer nos fils autrement ».
Un avant et un après #Metoo
Attention à ne pas s’y méprendre: il n’a pas fallu attendre le #Metoo pour que des actions soient mises en place afin de lutter contre le sexisme.
Par exemple, en mai 2014, grâce à Joëlle Milquet – à l’époque ministre de l’Egalité des chances – en collaboration avec l’Institut pour l’Egalité des femmes et des hommes, la Belgique rend le sexisme dans les lieux publics punissable par la loi. Un texte qui se présente comme tel :
“Pour l’application de la présente loi, le sexisme s’entend de tout geste ou comportement qui, dans les circonstances visées à l’article 444 du Code pénal, a manifestement pour objet d’exprimer un mépris à l’égard d’une personne, en raison de son appartenance sexuelle, ou de la considérer, pour la même raison, comme inférieure ou comme réduite essentiellement à sa dimension sexuelle et qui entraîne une atteinte grave à sa dignité”.
La loi belge représente une avancée primordiale à l’échelle européenne puisqu’elle donne, pour la première fois, une définition claire du sexisme et surtout, elle le caractérise comme une infraction pénale.“C’est très important que le sexisme et le harcèlement soient pénalisés, même symboliquement, car cela veut dire que c’est interdit”. précise Béa Ercolini. En effet, toute personne condamnée sur base de cette loi s’expose à une peine d’emprisonnement (d’un mois à un an) et /ou à une amende de 50 à 1000 euros. La loi a récemment porté ses fruits puisqu’en mars 2018, un homme a été condamné à payer 3000 euros pour sexisme sur la voie publique. Cette première condamnation pourrait en entraîner d’autres.
Toutefois, 1 condamnation en 4 ans peut paraître insuffisant. Une loi non pas impopulaire mais encore trop récente comme l’explique Françoise Goffinet, Attachée à l’Institut pour l’Egalité entre les femmes et les hommes : « Je ne dirai pas que la loi est impopulaire. Elle est seulement âgée de 4 ans, il faut lui laisser le temps de faire ses preuves. De plus, comparée aux chiffres d’autres lois, comme par exemple celle de l’écart salarial, cette loi anti-sexiste est beaucoup plus connue ».
Un autre “obstacle” à cette loi est aussi le manque de plaintes déposées jusqu’à présent par les victimes. Néanmoins, les campagnes de sensibilisation et les outils concrets mis en place cette année représentent un espoir de changement. Que ce soit à Bruxelles, en Belgique ou à l’international, il est indéniable d’affirmer qu’une évolution des mœurs est en marche et surtout qu’elle est indispensable. Pour que la honte ne soit plus jamais du côté des victimes mais des agresseurs.