Dans les rues de Bucarest, 80% des manifestants ont entre 20 et 45 ans. Leur revendication est simple : donner à leurs enfants l’opportunité de vivre dans une Roumanie juste. C’est dans une ambiance enthousiaste qu’ils se réunissent chaque jour Piata Victoriei, la Place de la Victoire, qui ne désemplit toujours pas, alors que le mouvement s’est lancé il y a 10 jours.
Malgré des températures hivernales qui atteignent les -10°, les Roumains ne décolèrent pas. Gautier, un Français est en Roumanie pour le moment : “Le mouvement est impressionnant, certains de mes amis vont à la manif tous les jours, on dirait que ça va durer indéfiniment. Ceci dit, il va bien falloir que cela s’essouffle à un moment donné.”
Sur Facebook, George, un jeune agent immobilier, arbore le slogan We don’t beliviu sur sa photo de profil. Liviu Dragnea, c’est ce politique qui est visé. Dragnea a été condamné en 2015 par la Haute Cour de cassation à deux ans de prison avec sursis dans une affaire de fraude électorale remontant à 2012 et au référendum visant à destituer le président Basescu. Le chef de file du parti social-démocrate roumain est au centre d’un décret voté visant à éteindre les poursuites de corruption à son encontre.
Le PSD (Partidul Social Democrat), élu en décembre 2016 avec une large majorité, s’est, avec ce décret d’urgence, mis la population à dos. Devant la colère de son peuple, le gouvernement roumain a abrogé la loi, mais ne l’a pas annulée. Conséquence : Liviu Dragnea va s’en sortir sans purger la moindre peine. En effet, le décret voté, a immédiatement ciblé certaines personnes qui en bénéficieraient et, là-dessus, il n’y a pas moyen de revenir. Les Roumains se sentent donc trahis et réclament la démission de leur gouvernement. C’est pour cette raison qu’ils continuent le combat partout dans le pays. On n’avait plus vu de mouvement pareil depuis la chute du dictateur Nicolas Ceausescu, en 1989.
Une lutte sur les réseaux sociaux
La ferveur qui fait actuellement vibrer la Roumanie toute entière se communique aussi par les réseaux sociaux. Killian, étudiant belge en stage à Bucarest explique : “Ici, les Roumains sont très actifs par rapport aux manifestations sur les réseaux sociaux. Ils partagent des vidéos, des avis, mais aussi énormément d’articles qui concernent les évènements actuels.”
Cette nouvelle forme de militantisme, George est le premier à l’utiliser : “Les réseaux sociaux sont indispensables. Sur les cinq chaînes d’information qui transmettent les manifestations, trois soutiennent le gouvernement. A la télévision, c’est facile de nous manipuler : ils appellent deux ou trois experts qui modifient l’information comme ils le veulent. Sur les réseaux sociaux, on peut trouver des dizaines d’experts qui essaient parfois de faire pareil, mais que l’on peut sélectionner comme on le veut, en fonction de notre sensibilité à leur message. Cela nous permet également de communiquer et de nous mobiliser plus facilement. Il n’y a aucun filtre, tout le monde voit ce que tu publies et l’information est transmise de façon instantanée.”
This is how history looks. Over 600.000 people protested throughout Romania, 300.000 in Bucharest alone. Photo: E. Rusev #romanianprotests pic.twitter.com/MLnflMs4JE
— Gabriela Draghici (@gabriela9_d) 5 février 2017
#roumanie : 500.000 #manifestants malgré le recul du #gouvernement – #Video https://t.co/Dp7kONoUds #romanianprotests #romania pic.twitter.com/TepKZn1Tin
— Gunel Ibrahimova (@Ibrahimova_GNL) 6 février 2017
Des manifestations pacifiques mais engagées
George a pris part à sept des neuf dernières manifestations : “Je n’ai jamais vu de manifestation aussi pacifique en Roumanie. Maintenant, les manifestants amènent leurs enfants, leur animal de compagnie, on rigole, on discute, on jure parfois, mais toujours de façon très calme. Les premiers concernés par ces manifestations font partie de la classe moyenne qui s’inquiète de l’avenir de ses enfants. Ils ne veulent plus d’un système corrompu.”
La lutte des Roumains continuera jusqu’à ce que le gouvernement remette sa démission, si l’on en croit les différents témoignages. Nombreux sont les jeunes qui estiment que le PSD a fait une erreur impardonnable en faisant voter ce décret. Néanmoins, ils sont prêts à refaire confiance à ce parti, démocratiquement élu, tant que de nouvelles personnes se présentent pour assurer les hauts postes du gouvernement. “Nous voulons que cela serve de leçon à nos dirigeants politiques”, résume George, “Nous ne laisserons rien passer au niveau de la corruption.”
Le rêve européen
Ce qui a particulièrement touché les Roumains, c’est de voir leur pays faire un tel pas en arrière en matière de corruption, alors même que des progrès avaient été effectués depuis 2007, lorsque la Roumanie s’est engagée à s’aligner aux normes européennes en matière de corruption, condition sine qua non à son intégration au sein de l’Union européenne. En 2016, Bruxelles affichait sa satisfaction à l’égard de la Roumanie et “de sa tendance positive en matière de lutte contre la corruption“. Depuis, 27 hauts représentants ont été envoyés devant la justice par le Parquet national anticorruption (DNA).
“Toutes les personnes qui sont dans les rues ont envie que la Roumanie soit pleinement intégrée à l’Europe, en luttant contre la corruption. Grâce à l’UE, nous avons fait des avancées immenses en matière de corruption et n’en serions pas là si nous ne faisions pas partie de l’Europe. Nous devons donc continuer le combat.”
Sébastien Paulus