Webcam Video From. Si ces trois mots ne vous disent rien, ils sont pourtant au cœur d’une réalité peu glorieuse. Tapée dans la barre de recherche de YouTube, cette formule donne accès à des milliers de vidéos de jeunes filles devant leurs webcams. Les images n’ont a priori rien de pornographique. Ces jeunes filles sont généralement en train de chanter, danser, parler ou faire de la gym. Cependant, elles sont visionnées par des centaines de milliers de personnes.
Mais c’est en regardant les commentaires que la situation devient sordide. Des commentaires obscènes et pédophiles s’étendent sous chacune des vidéos. YouTube semble n’établir aucun filtre.
L’ensemble de ces vidéos représente un eldorado pour les pédophiles qui ont désormais accès en seulement quelques clics à un contenu vidéo presque illimité d’enfants. Sur l’une des vidéos, un commentaire attire l’attention. Il commente en russe « Haha super ». La photo de profil ? Un enfant. En deux clics, on atterrit sur son profil YouTube. Dans la rubrique « Vidéos aimées », plus de 867 vidéos. Toutes contiennent des images de jeunes filles face à la caméra. À son actif, une seule vidéo, mettant en scène une petite fille dénudée. Regarder ces images plus de quelques secondes est insoutenable. La vidéo s’apparente à de la pédopornographie. Pourtant elle est accessible à tous sur la plateforme YouTube, sans même disposer d’un compte. Les nombreux commentaires vacillent entre des réclamations d’en voir plus et la satisfaction de trouver ce genre de vidéos si facilement.
« Ce n’est jamais assez pour te satisfaire »
Là où tout semble organisé, c’est lorsque YouTube suggère d’autres vidéos semblables. Ici, le titre des vidéos ne contient plus « Webcam Video From ». Néanmoins, le contenu reste le même. Plus terrifiant, l’historique personnel sur YouTube ne contient aucune trace des vidéos visionnées. On trouve des fichiers téléchargeables ou des playlists compilant toutes ces vidéos. La plupart de ces chaînes YouTube déguisent leurs playlists avec des noms comme « Time Warner Classics » afin de passer inaperçu. Malgré leurs noms, ce ne sont pas des playlists compilant des classiques du cinéma, mais des vidéos de jeunes mineures. De commentaire en commentaire, de vidéo en vidéo, on tombe sur différents comptes. On remarque alors des habitués qui viennent fréquemment commenter les vidéos. Leur point commun ? Généralement très peu d’informations sur leur profil, un faux nom, et des abonnements à de nombreuses pages YouTube de préadolescentes.
Lorsque l’on fait un tour sur le compte de ces trop jeunes Youtubeuses, on remarque alors que parmi les milliers d’abonnés la majorité est constituée d’hommes adultes. On se demande alors ce que fait YouTube, sachant que personne n’est autorisé à créer un compte avant ses treize ans. L’absence de modération semble totale.
Ce compte étrange a davantage attiré l’attention que d’autres, et a été révélé par le Youtubeur francophone Le Roi des Rats. Le compte a désormais été supprimé par YouTube suite aux nombreux signalements.
Ignobles poupées russes
Plus on se perd entre les différents comptes, plus on commence à assimiler les codes et les moyens utilisés entre les pédophiles pour communiquer sur la sphère YouTube. Outre « Webcam Video From », nous avons découvert de nouveaux mots clés, que nous ne dévoilerons pas. Une fois tapés sur YouTube, ils donnent accès à un champ très vaste de vidéos infantiles et dérangeantes, à la limite de la légalité. Si certaines chaînes hébergent des vidéos volées à des jeunes filles, certains uploadent du contenu pédophile impliquant directement la complicité des parents.
YouTube loge publiquement des vidéos amenant une très forte présence de prédateurs sexuels, qui ne prennent aucun risque. Si les commentaires sous une vidéo se comptent par dizaines, les vues se comptent en centaines de milliers, parfois même jusqu’au million. Cela montre qu’un amas discret de pédophiles est bel et bien existant. L’algorithme YouTube permet de passer de vidéo en vidéo, et même si les titres sont bien distincts, le contenu reste le même : des vidéos d’enfants devant leur caméra. L’intitulé « Webcam Video From » sous-entend que les vidéos proviennent directement de la webcam des jeunes filles. Ainsi, elles publieraient leurs vidéos instantanément sans changer le titre. Cela reste un hasard qui soulève des interrogations.
Youtube coupable ?
Interrogé par Slate, le porte-parole du réseau social a déclaré que « YouTube applique une politique de tolérance zéro pour les contenus à caractère sexuel impliquant des mineurs. Toute activité de ce type sur notre plateforme —y compris laisser des commentaires inappropriés— se traduira immédiatement par une fermeture du compte concerné. » Néanmoins, de nombreux commentaires et comptes sont encore présents depuis des années. Dans la rubrique Mise en danger des enfants, le règlement de YouTube énonce que « le fait de télécharger, commenter ou s’impliquer dans n’importe quel type d’activité qui sexualise des mineurs entraîne la suspension immédiate du compte. » En théorie, YouTube devrait donc supprimer et contrôler ces dérives, mais la réalité ne suit pas. Comment expliquer ce laxisme ? Si les principes de modération de YouTube restent opaques, la compagnie américaine sous-traite sa modération dans des pays à bas coûts tels que les Philippines. Ces « techniciens de surface » doivent nettoyer l’Internet et surveiller tous les commentaires et contenus. Non qualifiés et en nombre dérisoire, leur travail s’avère clairement insuffisant. C’est pourquoi YouTube a lancé en septembre 2016 un projet afin d’inciter les internautes à participer à la modération.
La terrible situation révélée en France par Le Roi des Rats et aux Etats-Unis par Pyrocynical peut s’éteindre grâce aux utilisateurs du web. Si les internautes se sont habitués à être les clients de l’Internet, ils en sont également les contributeurs.
Roberto Garçon (École de journalisme de Cannes)